
On lui confie souvent des personnages de fous ou de voyous qu’on ne voudrait pas rencontrer au coin d’un bois. Dans la vie, c’est une soie qu’on ne s’avisera tout de même pas de froisser : un petit gabarit (1,65 m), certes, mais sculpté aux haltères et aux arts martiaux.
Né à Joliette, Marc Beaupré a 36 ans, un frère vrai jumeau et une passion pour le Canadien de Montréal. Daltonien, il porte un blouson marron qu’il croit vert. Il parle beaucoup et vite, le magnéto a du mal à le suivre.
Depuis peu passé à la mise en scène, il a marqué les esprits avec son Caligula_remix, d’après Camus, dans lequel il fait « scratcher » l’empereur, et déboussolé les puristes avec Dom Juan_uncensored, où le héros de Molière twitte. Surprendre : le verbe motive le metteur en scène.
Êtes-vous devenu metteur en scène par vocation, par hasard ou par manque de travail comme comédien ?
Je dirais par vocation, arrivée par accident. À ma sortie de l’École nationale de théâtre, en 1999, j’ai connu des débuts fulgurants avec la télésérie 2 frères et un prix Gémeaux d’interprétation. Je pensais que tout allait toujours se passer ainsi. Mais au milieu des années 2000, je ne trouvais pas de place pour m’exprimer comme je le souhaitais. Alors j’ai fondé ma compagnie, Terre des hommes, et signé, en 2008, ma première mise en scène : Le silence de la mer, de Paul Vercors.
Mettre en scène, n’est-ce pas écrire par-dessus l’auteur ?
C’est écrire en plus de l’auteur. C’est du moins ce que j’ai fait avec Camus et Molière, que j’ai virés à l’envers, mais dont j’ai voulu transmettre la puissance des œuvres, tout en osant me débarrasser des choses encombrantes.
Et vous n’avez ressenti aucune gêne à mutiler leurs textes ?
Pour qui je me prends ?, penserez-vous. J’ai sacrifié les trois quarts de la pièce de Molière, mais j’ai essayé de sublimer de toutes mes forces les scènes que je trouve extraordinaires et que j’ai gardées intégralement.
Pour être un bon metteur en scène, il vaut mieux être un bon acteur ou un bon spectateur ?
Je ne pourrais pas être le metteur en scène que je suis si je ne possédais pas mon expérience de comédien. Je sais que j’ai les aptitudes pour diriger les acteurs, les installer dans une zone de confort. Par contre, il arrive que la distance du spectateur me manque. D’un autre côté, si on pense trop aux réactions possibles du public, le piège est de faire des shows convenus. Les gens veulent une dynamique scénique qui va leur faire comprendre en quoi consiste l’histoire. Cette dynamique doit être claire.
Vous montez Ce samedi il pleuvait, d’Annick Lefebvre : qu’a l’auteure pour rivaliser avec Camus et Molière ?
Il est vrai qu’avec ma compagnie je me tiens plus du côté de l’épopée et des grands mythes que du théâtre de l’ici et maintenant — dans ce cas-ci, une famille dysfonctionnelle de banlieue. Mais si j’ai accepté de diriger la pièce pour Le Crachoir [compagnie fondée par l’auteure], c’est qu’Annick ne se contente pas de s’indigner et de dire : « La société, c’est de la marde » ; elle fait entendre qu’elle l’aime, cette société.
Le théâtre peut-il améliorer l’humanité de chacun ?
En tant qu’individu, on est la somme des gestes qu’on fait pour mettre le monde en ordre. « Organiser le chaos, voilà la création », a dit Guillaume Apollinaire. J’apporte ma petite contribution.
• Ce samedi il pleuvait, théâtre Aux Écuries, à Montréal, du 9 au 27 avr., 514 328-7437.