Beyries: pistes d’envol

Il aura fallu qu’Amélie Beyries survive à deux cancers pour qu’elle se révèle à elle-même et décide de suivre sa voix. Portrait d’une artiste résiliente à l’aube de la sortie de son premier album.

Photo: Fany Ducharme
Photo: Fany Ducharme

Avant de décider de vivre de sa musique, Amélie Beyries — ça se prononce bé-riss — a pris mille détours. Serveuse au restaurant Leméac à Montréal, spécialiste en relations publiques, directrice générale du studio qui signe notamment les effets visuels des films de Jean-Marc Vallée… Cette Montréalaise cultivait ses mélodies composées au piano ou à la guitare dans son jardin secret, à l’ombre du jugement d’autrui.

Jusqu’à ce qu’un diagnostic de cancer du sein vienne chambouler son existence trépidante, en 2008. Elle a 29 ans. «Ma vie s’est arrêtée du jour au lendemain», raconte cette auteure-compositrice-interprète aux longs cheveux châtains et au corps de liane.

Vu son jeune âge, le traitement est agressif: chimiothérapie, ablation d’un sein, radiothérapie. En sortant de ce passage à vide, au printemps 2010, Amélie quitte son loft du Vieux-Montréal pour acheter une maison à la campagne, dans la région de Lanaudière. Le piano demi-queue hérité de sa grand-mère l’y suit. C’est là qu’elle compose la chanson qui deviendra plus tard son premier succès, l’envoûtante Soldier, qu’elle enregistre avec un ami bassiste, Guillaume Chartrain (Louis-Jean Cormier). Diffusée lors d’une campagne de prévention du cancer du sein, la chanson sera ensuite reléguée aux oubliettes tandis qu’Amélie reprend le boulot dans le cinéma.

Fin 2010, le cancer récidive. À 31 ans, Amélie passe à nouveau sous le bistouri avant de subir une reconstruction mammaire. «J’ai été vraiment chanceuse, car j’ai pu éviter un autre traitement de chimiothérapie. Ça ne me tentait vraiment pas de retourner là…»

Mais financièrement, elle est acculée au mur: plus de revenus — elle avait laissé son boulot, devenu trop exténuant, avant le second diagnostic —, pas d’assurance-invalidité et une hypothèque à payer. Elle remet les clés de sa voiture à la banque et loue sa maison de campagne. Pour payer quelques factures, elle accepte certains mandats de relations publiques pour ses anciens clients. Mais l’anxiété la gagne, malgré le soutien psychologique et financier de ses proches.

«Physiquement, à ce moment-là, je n’avais pas la capacité de gagner ma vie. Ma situation financière devenait un casse-tête hebdomadaire.» Amélie sait qu’elle frise la dépression. «Je n’avais plus d’énergie, plus d’enthousiasme. Dans le fond, je n’avais plus de raisons de vivre.»

Ou plutôt si: elle avait Emmanuelle, l’amie et complice qui allait devenir son agente. Subjuguée par le talent d’Amélie et la fraîcheur de ses compositions, qu’elle enregistre sur son téléphone intelligent (!), Emmanuelle lui propose de l’aider à lancer et à gérer sa carrière musicale.

«Je lui disais: “C’est bien beau, la musique, mais ça ne paie pas le loyer !” Elle a mis des années à me convaincre. Un jour, je me suis rendu compte que je n’avais plus tellement le choix: la musique était mon dernier recours. J’ai embarqué. Et là, je me suis mise à composer des tounes en rafale.»

Par la suite, tout va très vite. Emmanuelle la futée — Manu pour les intimes — envoie les maquettes d’Amélie à quelques contacts judicieux… sans révéler le nom de l’artiste. Parmi eux, le musicien, arrangeur, réalisateur et compositeur Alex McMahon (Yann Perreault, Catherine Major, Alex Nevsky, Plaster). Il est séduit par les compositions de l’artiste «mystère», qu’il connaissait sans se douter qu’elle grattait la guitare.

«Quand il a appris que c’était moi, il n’en revenait pas, poursuit la musicienne. Si lui acceptait de travailler avec moi, c’est que je n’avais pas le choix. C’était un signe de la vie.»

La musique de Beyries — son nom de scène, désormais — capte aussi l’attention de trois maisons de disques; l’équipe choisit Bonsound (Lisa LeBlanc, Milk & Bone, Safia Nolin). Début mars, l’artiste réchauffe la salle avant un spectacle de Martha Wainwright, une de ses artistes fétiches, au Festival de musique émergente d’Abitibi-Témiscamingue. L’été dernier, elle a ratissé le Canada et donné 13 spectacles, de Montréal à Vancouver. Landing, son premier album, atterrit dans nos oreilles ce 24 février.

Consciente de son ascension aussi remarquée qu’inespérée, Amélie Beyries se garde bien de pavoiser. «Quelqu’un qui sort de nulle part comme moi, ça peut être frustrant pour plusieurs musiciens qui tentent de percer depuis longtemps. En même temps, je ne veux pas bouder mon plaisir…»

Et le plaisir est manifeste quand elle parle de musique: à 37 ans, la chanteuse rayonne d’un bonheur sain. Dire qu’il lui aura fallu deux cancers pour lever le frein et suivre son talent… «Le cancer, ça a été bénéfique pour moi. Ça m’a forcée à arrêter de me battre contre moi-même.» Les yeux dans le vague, elle se tait un instant en se repassant intérieurement le fil des dernières années. «Finalement, mon malheur s’est étalé sur sept ans. J’ai dû briser un miroir quelque part!»

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Quelle voix magnifique et apaisante. Je partirai au bout du monde résume totalement mon état d’esprIt, car je suis à mon 2e cancer du sein .Circonstances différentes mais les mêmes sentiments et réalisations. Merci 1000 fois et bonne route à Beyries.