Carolle Brabant : femme de cinéma

Alors qu’elle vient de quitter récemment Téléfilm Canada, la première femme nommée à sa tête, Carolle Brabant, parle de ses réalisations. Et dresse le bilan d’une industrie à la croisée des chemins.

Photo : Téléfilm Canada

L’entente conclue par Patrimoine canadien avec Netflix prévoit des investissements de 100 millions de dollars par année pendant cinq ans, l’équivalent du budget annuel de Téléfilm. Craignez-vous un dédoublement des forces ?

Je crains surtout l’uniformisation des contenus. Qu’il se produise du contenu formaté, qui ne nous ressemble plus. Il ne faudra pas tarir les autres sources de financement de notre production [de Téléfilm, de la SODEC, etc.] afin de maintenir la diversité de l’offre.

Quelle devrait être la stratégie pour aider le cinéma québécois à s’imposer ?

Il faut assurer une meilleure prévisibilité du financement, pour soutenir davantage les entreprises et les rendre plus concurrentielles. Le Canada est en position pour, dans un avenir rapproché, prendre la tête dans la production indépendante mondiale. On a les ressources, le talent, la créativité, les équipes… Ce qui manque, c’est une certaine stabilité du financement. Aussi, une meilleure valorisation des entreprises qui ont du succès en salle, qui rayonnent à l’étranger, qui obtiennent du financement autre que public, etc.

Vous avez réuni tous les groupes d’intérêt du secteur du cinéma dans le dossier de la parité hommes-femmes. Quelle a été votre stratégie ?

Le problème était l’absence de projets de femmes. Il a fallu convaincre les producteurs d’en déposer, puis s’entendre sur un horizon [une répartition équitable du financement en 2020] et des paramètres mesurables. On a choisi de qualifier de « projet de femme » tout film produit, réalisé ou scénarisé par une femme, plutôt que les trois combinés, objectif qui divisait les parties concernées. Déjà, en septembre dernier, 44 % des films auxquels nous avons accordé du financement [pour 2018-2019] ont une femme comme réalisatrice, 46 % comme scénariste, et 51 % comme productrice. Si on a atteint des résultats aussi rapidement, c’est parce que tout le monde a ramé dans le même sens.

Quel sera le principal défi de la personne qui vous remplacera ?

Depuis 2000, le budget de Téléfilm n’a pas augmenté. On a maximisé notre capacité d’investir, nos coutures sont étirées. Notre programme Talents en vue, une de mes plus grandes sources de fierté, favorise l’émergence de la relève en permettant à des cinéastes de réaliser leur premier long métrage à petit budget. Mais après ? Nous avons d’autres exemples de cinéastes qui, comme Xavier Dolan, valent la peine qu’on continue de les soutenir au-delà du premier film. Or, bientôt, nous n’aurons plus les moyens de le faire.

Est-ce à dire que, lorsque Denis Villeneuve s’en va faire des films aux États-Unis, il soulage un système saturé ?

Presque. [Rire] Mais s’il fallait que, dans la même année, lui, Xavier Dolan et Jean-Marc Vallée déposent des projets… je ne sais pas ce qu’on ferait.