Poète et romancière, Élise Turcotte est l’une des grandes voix de la littérature québécoise contemporaine. Autrice d’une œuvre multiforme et sans cesse renouvelée, elle signe plusieurs recueils de poésie, dont Piano mélancolique, Ce qu’elle voit, La forme du jour et À mon retour, tous publiés au Noroît. Ses romans, parmi lesquels on compte Le bruit des choses vivantes, La maison étrangère, Guyana et L’apparition du chevreuil, ont tous été salués par la critique et ont été récompensés par de prestigieuses distinctions. Elle a aussi écrit pour la jeunesse. Née à Sorel en 1957, Élise Turcotte vit à Montréal.
Comment s’est déroulée la création de ce livre ? Quel message vouliez-vous faire passer ?
Un voyage en Suède
l’épreuve du feu
le fantôme d’un désespoir
un chien tragique et fidèle
un enfant disparu dans la rivière
la dérive des îles et des astres
une femme qui dialogue avec un arbre
quand il n’y a plus rien
des objets qui scintillent
dans un parterre abandonné
le silence d’un soulier dans les débris
d’une maison
J’ai commencé ce recueil, il y a quelques années déjà, au retour d’un voyage à la fois difficile et beau, mais d’une beauté d’où j’étais restée absente. Lentement, j’ai défait ma valise, j’ai regardé encore et encore le monde qui s’effrite, puis je me suis mise à écrire, sans espoir ni désespoir, sans nostalgie non plus, avec en tête un foisonnement d’images que je voulais garder en vie. Il s’agissait de cristalliser les émotions, la pensée, les souvenirs, les événements politiques et intimes, et de le faire comme d’une perspective un peu hallucinée, dans de courts poèmes qui tenteraient eux aussi de s’échapper. Mais ils demeurent et continuent leur métamorphose sur la table des éphémérides. Voici donc la vie, la mort, la déraison, les guerres, les jours, les années — et voici ce qui se déplie, avec la poésie, à mon retour.
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Un extrait de À mon retour
Verglas
Dans cette histoire, les arbres bougent au ralenti
comme au creux d’un nouvel ordre.
La longue tige d’une plante inconnue s’élève
du lavabo. Elle pousse en une nuit —
cette nuit —
et s’étire
vers les pleurs de deux animaux malades.
Petit à petit je perds pied dans le paysage glacé.
Si je vois une fissure, une étoile, un décor de palais de glace,
je saurai par où m’enfuir.
Au printemps
L’enfant disparu ne refait pas surface.
Je nage en pleine distance quand le feu prend
dans la cuisine.
Au loin, j’entends les sirènes, j’entends les rapides,
j’entends les sirènes, j’entends le fleuve, j’entends
les paroles des sorcières, les sirènes, j’entends les ouvrages
du passé et le blé qui pousse et le vent dans les champs
au bord de l’autoroute.
J’aboutis dans la couleur d’une autre vie.
Où sommes-nous ?
Les fleurs du crépuscule
Le souffle de la nuit m’a transmis
les nouvelles du jour.
Monde répétitif, nouveau monde
des enfants en cage.
Et puis l’intime injustice.
Que font les autres ?
Je referme le rideau froid pour ne
plus sentir.
Une seconde.
Rien que les fleurs du crépuscule.
Rien que ma peine d’amour douce.
Table des corps mobiles
Le chemin noir de la maison à l’hôpital :
Jamais la chute ne parut si vraie.
On voudrait écrire quelque chose que seul
le corps aurait dit.
Un effondrement à l’intérieur de l’effondrement.
Cela dure trois mois avant de lever les yeux
vers les arbres.
Je me souviens du mot canopée un jour
dans la chambre de décompression.
Voici donc ce que la poésie dit.
Un écureuil court à travers les branches
me laissant dans la coquille blanche du son.