Ce qui se cache derrière Bande de bouffons

La pièce Bande de bouffons, de Jean-Philippe Lehoux, est en lice pour les Prix littéraires du Gouverneur général 2021 dans la catégorie Théâtre.

Montage L'actualité

Diplômé de l’École nationale de théâtre en écriture dramatique, Jean-Philippe Lehoux est auteur, comédien, traducteur et enseignant. Il a écrit Comment je suis devenue touriste, Normal, L’écolière de Tokyo (prix Gratien-Gélinas 2013) et quelques pièces destinées au jeune public, dont Le chant du koï (finaliste au prix Louise-Lahaye 2015). Depuis 2013, il est accueilli comme auteur en résidence par La Manufacture, au Théâtre La Licorne, où il a récemment présenté Deux pièces pour Étienne Pilon, dans une mise en scène de Charles Dauphinais, avec qui il codirige le Théâtre Hors Taxes. 

Comment s’est déroulée la création de ce livre ?

L’écriture s’est inscrite dans un processus de création orchestré par le metteur en scène Jacques Laroche et l’ancienne directrice artistique du Théâtre du Tandem, Hélène Bacquet. À partir de la pensée du philosophe Alain Deneault, particulièrement sa conférence « Bande de colons », nous avons improvisé, cherché, beaucoup hésité, assemblé une équipe formidable pour enfin découvrir un langage « bouffonesque » extravagant, pourtant si accessible et bidonnant. J’ai rarement vu une collaboration aussi étroite entre tous les intervenants d’une production : je leur dois beaucoup de ces mots. Il faut lire Bande de bouffons, mais il faut surtout la voir pour admirer la virtuosité physique et langagière des interprètes. On y retrouve tout le génie de Jacques Laroche. J’espère d’ailleurs de tout cœur que notre drôle de « patente » retrouvera les planches bientôt !

Que souhaitez-vous que les lecteurs retiennent de votre pièce ?  

Je crois que ce qui marque les spectateur·trice·s et les lecteur·trice·s de cette pièce, c’est l’étonnante liberté avec laquelle nous avons traité de sujets identitaires aussi délicats. J’y ai personnellement découvert que l’autodérision pouvait nous aider à cheminer dans nos blocages en tant que peuple : nous ne sommes peut-être pas de si grandes victimes historiques, et alors ? Habituellement, je ne suis pas un auteur qui aime condamner l’autre au malaise rien que pour le plaisir de le choquer. Je me méfie de cette posture condescendante. Mais ici, l’extraordinaire talent des bouffons pour se moquer de tout se marie à un goût du jeu et du cabotinage pur : nous sommes dans un rituel théâtral sans artifices, qui n’oublie jamais ceux et celles qui écoutent. On s’y sent peut-être attaqué, mais avec une indulgence infinie. Il n’y a donc pas de volonté de faire la morale, il y a seulement une série de petites gifles drapées de tendre cruauté. Au fond, réfléchir en riant, qu’y a-t-il de plus beau ?

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Un extrait de Bande de bouffons

(…)

BOUFFON 2 T’es qui, Québec ?

BOUFFON 4 Chus pas un colon canayen en tout cas !

TOUS Oh non ! On n’est pas des colons canayens !

BOUFFON 4 (LE SONDEUR) Très bien, nous allons maintenant vous rentrer une p’tite sonde dans le colonisé…

TOUS (Serrant les fesses.) Urgh !

BOUFFON 1 (LE SONDEUR) Sur une échelle d’un à dix : « Aimez-vous l’hiver » ?

TOUS Euh… aaaaargh… je… ouinonouin… oooooh… euuuuuh… seul’ment quand ooooouf ! C’est pas… yourteeeeeaaaaa… uuuuu… iiiii! Un p’tit peu de réchauffement climatique, ça f’rait pâââââs eeeeeuh…. AAAAAH !

BOUFFON 3 (LE SONDEUR) Semble-t-il qu’un Algonquin aurait besoin de 25 kilomètres carrés pour vivre. Vous ?

TOUS (Parfois ensemble, parfois seuls.)
Un 4 et demi
Non
Un 5 et demi
Faut ben une pièce pour un bureau
Pas grand-chose
Une minimaison sur deux étages
Un stationnement
Un chalet
Un ponton
Simplicité volontaire là
On vit le hygge
À peine une plage
Vierge
Gracias
De nada
Pas une Lada
Rien de compliqué
Un sept passagers
On est 4
Mais on n’est pus des porteurs d’eau
On est des bâtisseurs d’eau
Faut voir grand
LG2
G8
V8
Mouhahahaha !
La poutine est rendue au McDo
Yeah
Chut
Yeah
Chuuuuut!
Ben quoi ?
On n’a pus peur de l’argent
On est des prédateurs
Pas des proies
(Sur l’air de la chanson d’Angèle Arsenault.)
Des Inuits ont même pas d’eau
Moi j’mange
Des Inuits ont même pas d’eau
Moi j’mange
Des Inuits ont même pas d’eau
Moi j’mange

BOUFFON 5 Minoritaire !

BOUFFON 2 Mais majoritaire !

BOUFFON 3 Mais minoritaire !

BOUFFON 1 Mais majoritaire !

BOUFFON 2 Oui, oui, oui, oui, mais minoritaire.

BOUFFON 5 Majo-nita-raire.

BOUFFON 3 Au Nunavik, ç’a pris 63 ans pour qu’y ait des sanitaires.

BOUFFON 1 Mina-ri-ta-taire.

BOUFFON 5 Minamoto.

BOUFFON 2 Arrigato.

TOUS (Même jeu que précédemment.)

Sushis su’l Plateau
Avec un bon p’tit apéro
Rien de compliqué
On se débouche ça
Vacances dans le Douro
Je suis comme
Je suis comme
Je succombe à l’envie de dire que je
suis comme
Je suis comme un Tibétain sans pays