Ce qui se cache derrière Cartographie des vivants

Cartographie des vivants, de Sarah Brunet Dragon, est en lice pour les Prix littéraires du Gouverneur général 2019 dans la catégorie Essais. 

Sarah Brunet Dragon est née à Saint-Hyacinthe en 1988. Elle vit à Mont-Saint-Hilaire et travaille pour le réseau des bibliothèques publiques de Longueuil.

Aux Éditions du Noroît, elle a publié Cartographie des vivants (collection « Chemins de traverse », 2018) et À propos du ciel, tu dis (collection « Initiale », 2017, finaliste au prix Émile-Nelligan).

Comment s’est déroulée la création de l’œuvre ?

J’ai vécu à Sainte-Agathe-des-Monts, dans les Laurentides, pendant deux ans. C’est ce territoire, sa sauvagerie tranquille qui ont servi d’assises à mon écriture. Après quelques années en ville, j’avais besoin de silence, de lenteur ; la dernière année, surtout, avait été particulièrement agitée, et il m’apparaissait de plus en plus évident que ces conditions, nécessaires à ma création, ne seraient jamais réunies si je restais là où j’étais. Alors je suis partie. La distance, une fois que je m’y fus habituée, m’a procuré un certain calme. Elle m’a aussi permis de prendre du recul par rapport à mon histoire personnelle. J’ai commencé à prêter à ce qui m’entourait une oreille différente.

Que souhaitez-vous que les lecteurs retiennent de ce livre ? 

Je ne sais pas. En écrivant, j’essaie moins de faire passer un message que d’offrir au lecteur une expérience de lecture, une rencontre. Le reste lui appartient.

///

Un extrait de Cartographie des vivants 

Toute écriture doit-elle passer par une sorte de connaissance fondamentale (mère, nuit, eau) afin de permettre à celui qui écrit et à celui qui lit de partager ce qu’ils ont en commun ? D’autres expériences ne se répètent-elles pas d’une vie humaine à l’autre ? Des émotions (l’amour, la peur, la joie) ? Des besoins (la soif, la faim) ?

J’ignore si la peur des autres ressemble à la mienne, si ce que quelqu’un, quelque part, nomme « amour » correspond à mon sentiment de l’amour ou si la soif est partout pareille. J’ignore si l’écriture tente ultimement de revenir vers la mère, la nuit et l’eau.

Mais je sais qu’il existe des clichés. Des mots que nous utilisons pour être compris, qui nous privent d’une parole (la nôtre), la confisquent au profit d’un échange convenu (une communication) et réduisent presque à zéro les risques de mésentente (le langage, le sens des mots, ne diffère plus d’une personne à l’autre). Je sais qu’il existe des expressions toutes faites, prêtes à utiliser, qui surgissent dans une conversation et l’interrompent. Des images qui s’interposent entre nous et la réalité (nous les avons vues tellement de fois dans des films, à la télévision, dans des magazines et sur des affiches publicitaires que nous les confondons avec le réel).

Je sais aussi qu’il est impensable, pour moi, d’écrire avec ces mots et ces images-là. Impensable que l’écriture devienne une plate communication, un objet sur lequel tout le monde s’entend, dont le sens et l’expérience ne varient plus d’un lecteur à l’autre. Je travaille à me déprendre des clichés, à trouver mon propre langage, ma propre voix. Cela ne signifie pas inventer une langue que je serais seule à comprendre. J’essaie simplement de réfléchir au sens des mots, de les choisir en fonction de ce que je souhaite dire — et je n’y parviens pas. Mais quelque chose d’autre, une chose que je n’avais pas prévue, advient et je choisis de lui faire confiance.

***

Cartographie des vivants, par Sarah Brunet Dragon, Les Éditions du Noroît