Frédéric Dumont est né à Montréal. Il publie depuis 2009 une poésie étonnante qui saisit le quotidien et le retourne pour en faire tomber la menue monnaie. Il a reçu le prix Félix-Antoine-Savard et été finaliste au prix Émile-Nelligan.
Comment s’est déroulée la création de ce livre ?
Nous sommes au beau milieu d’une crise sanitaire à l’échelle planétaire. Ma génération n’a jamais connu une menace d’une telle ampleur. Nous avons peur de toucher la main des autres. Deux mètres entre les gens. Quatre selon d’autres recommandations. Gel hydroalcoolique. Masques. Les autobus sont vides. Ils se déplacent dans la ville comme des vaisseaux fantômes. Nous avons peur de l’air que nous respirons à la pharmacie. Des aérosols possiblement létaux scintillent dans la rangée des pastilles pour la toux. Quand ma bouche communique avec une autre bouche, j’observe les voyages absurdes qu’effectuent nos gouttelettes respectives. J’essaie d’éviter celles projetées par l’autre bouche comme on évite des balles sur un champ de tir.
La création de ce livre s’est déroulée dans cette atmosphère. Je considère donc que cela s’est très mal passé.
Que souhaitez-vous que les lecteurs retiennent de votre livre ? Quel message vouliez-vous faire passer ?
Rien de particulier. C’est ouvert comme une porte de chambre le matin.
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Un extrait du recueil Chambre minimum
Si c’est sacré, ce n’est pas magique,
et si c’est magique, je défonce la clôture.
J’enregistre tout, absolument tout ce
que je vois tomber. J’ai vieilli, et en
l’espace d’une seconde j’ai vieilli.
Je ne sais pas dans quelle buanderie
on a détourné ma couleur de chemise.
L’outil que nous manipulions, nous
l’avions trouvé au dépotoir municipal.
Non, ce n’est pas vrai. C’est juste que
je ne me souviens pas. Et ce n’est pas
un défaut. Non, je ne suis pas ce poète
à foulard, j’ai un cache-cou en laine.
Cela dit, c’est vrai qu’il m’arrive de
porter des foulards. Des bérets,
pas de bérets, non.
*
d’où je me situe
je vois un lac
enfin : je l’imagine
j’imagine
cette pierre faisant des bonds sur l’eau
elle n’arrête jamais
j’ai compté 135 bonds
puis la pierre a percé la glace
un poisson en est sorti
un enfant a crié maman maman
et c’était peut-être moi
*
parfois
je cherche des amis
moins près
du bain noyé
des amis sonores
à la nuque
avec la tisane opérante
et les beaux yeux
*
je surveille ce qui est rétroviseur
la période entre les pluies mais aussi
cette fin d’ampoule altérée
une fontaine en terre
une poignée de chats
la capsule jaune et rouge
contenant la peau d’œuf
c’est la même petite falaise
ce n’est jamais par le foie qu’on devient quelqu’un
ni par la bouche
au bureau, assis, image, je repasse
mes ballons d’années