Sophie Létourneau est née en 1980 à Lévis. Écrivaine et professeure de littérature à l’Université Laval, à Québec, elle s’intéresse aux écritures du réel. Elle a publié Polaroïds, Chanson française et L’été 95. Chasse à l’homme est son premier livre à paraître à La Peuplade.
Comment s’est déroulée la création de ce livre ?
J’ai consulté une voyante pour qu’elle me dise ce que je ferais après mes longues études en littérature. Elle m’a surtout parlé de l’homme de ma vie. Plutôt que d’attendre, je me suis lancée à sa poursuite. J’ai mis six ans à le trouver, puis six autres années à écrire Chasse à l’homme.
Que souhaitez-vous que les lecteurs retiennent de votre livre ?
Chasse à l’homme est une histoire d’amour et l’histoire de mon amour de la littérature.
Au-dessus de ma table de travail, j’ai collé un carton rose sur lequel j’avais écrit : « merveille par-dessus merveille par-dessus merveille ». Cette étoile du berger, c’est l’effet que je voulais provoquer à la lecture : un éblouissement comme devant un feu d’artifice, une jubilation comme sous une pluie de confettis. Je voulais que le lecteur ou la lectrice découvre dans chaque fragment une pépite. Ce que je voudrais que l’on retienne du livre, c’est cette effervescence. Mais aussi : que le réel scintille pour qui sait regarder.
Quel message vouliez-vous faire passer ?
Il y a dans Chasse à l’homme une réflexion qui suit plusieurs filons, à commencer par le fait que les filles ont raison de vouloir qu’on les aime. Mais le « message » (si tant est) qu’il m’importait le plus de faire passer, c’est que les mots sont puissants, magiques comme on le dit des formules, et que les histoires qu’on se raconte donnent forme à notre réalité. Je voudrais que ceux et celles qui ont lu le livre sachent qu’on est l’auteur ou l’autrice de sa vie. Ce qui n’empêche pas l’inverse d’être aussi vrai : il est difficile, voire impossible d’attraper le réel et de le coucher sur papier comme on le ferait d’un adversaire après une joute. Le réel est une licorne, une bête fabuleuse qui s’enfuit après qu’on eut croisé ses yeux.
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Un extrait de Chasse à l’homme
Je suis retournée au Port de tête. Samuel Archibald lançait Arvida, l’histoire d’un gars, disait-il, qui voulait raconter des histoires en n’ayant pour madeleine qu’une McCroquette trempée dans le miel.
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On reproche souvent à l’autofiction son égocentrisme. Il s’agit d’un choix narratif. En écrivant Chasse à l’homme, j’en ai vu la délicatesse : hors-champ, les autres sont préservés du danger de la publication.
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Tu te trouvais dans la cour du Port de tête ce soir-là.
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Chaque fois que je publie un livre, je m’en sens moins autrice que personnage. Je me demande toujours : que va-t-il m’arriver après le lancement ?
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Dans la pénombre du soir tombé, je me suis dit qu’après le temps des grands hommes, le temps des garçons était arrivé. Le temps des héros, du territoire à conquérir. Et qu’après le temps des garçons, on assisterait à la révolution des filles. Qu’on entendrait bientôt leurs vérités s’énoncer.
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En attendant que ce jour arrive, je me suis faufilée jusqu’à la sortie – sans te parler.
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J’ai compris que ce n’était pas gagné, la révolution des filles, quand le petit Japonais m’a confié qu’aucun personnage ne l’effrayait plus que celui de Mrs. Robinson. Son regard désirant.
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Le roman d’amour est un genre dans lequel le désir des personnages se manifeste le plus clairement : Marcel désire Albertine. (Albertine, pas tellement.) Les choses se compliquent toujours parce qu’un bon personnage est habité par plus d’un désir.
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A-t-on jamais reproché à un homme, comme on le reproche à certaines femmes, de trop vouloir ? N’est-ce pas la définition même du héros que de vouloir trop ?
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Chasse à l’homme, par Sophie Létourneau, La Peuplade