Ce qui se cache derrière Combattre le why-why

La pièce Combattre le why-why, de Rébecca Déraspe, est en lice pour les Prix littéraires du Gouverneur général 2021 dans la catégorie Théâtre.

Montage L'actualité

Rébecca Déraspe a terminé le programme d’écriture dramatique de l’École nationale de théâtre du Canada en mai 2010. Elle est l’autrice de plusieurs pièces jouées et traduites un peu partout dans le monde, dont Deux ans de votre vie, Plus que toi, Peau d’ours, Gamètes, Nino, Je suis William, Le merveilleux voyage de Réal de Montréal, Partout ailleurs, Nos petits doigts, Faire la leçon, Ceux qui se sont évaporés, Fanny, Faire crier les murs, Les filles du Saint-Laurent. Elle adapté plusieurs classiques, dont Roméo et Juliette et La nuit des rois de Shakespeare et Une maison de poupée d’Ibsen. Elle est aussi autrice en résidence au Théâtre La Licorne. Elle a remporté le prix Michel-Tremblay pour sa pièce Ceux qui se sont évaporés, le Prix de la critique – Meilleur spectacle jeune public 2018 et le prix Louise-Lahaye pour sa pièce Je suis William, le prix du meilleur texte dramatique Montréal 2017 pour sa pièce Gamètes ainsi que le prix BMO auteur dramatique 2010 pour sa pièce Deux ans de votre vie. Elle anime et écrit Lexique de la polémique, série diffusée à Savoir média.

Comment s’est déroulée la création du livre ?

Ce texte est le résultat d’un « pas game » donné à moi-même. C’est simple. Et en même temps, ce n’est vraiment pas simple. Mais les contradictions sont des choses qui me plaisent. Si toutes nos émotions étaient toujours d’accord, la vie aurait quelque chose de brun. Un jour, Philippe Lambert, du Théâtre La Licorne, m’a donné une carte blanche. Bim bam. « Tiens, prends la scène pis fais ce que tu veux pour une soirée. » J’ai décidé de sortir de la grosse garde-robe dans laquelle je tricotais des textes. D’aller sur scène. Seule. Et de faire des choses.  

Le concept de ma carte blanche était bien simple : réutiliser les textes écrits dans le cadre du fabuleux concept de l’émission de radio Plus on est de fous, plus on lit !, le « combat des mots ». J’avais envie de faire un spectacle où l’humour et la profondeur allaient se côtoyer sans gêne. J’avais envie d’impudeur, de vrai, de tendre, de pas parfait. J’avais envie d’indécence authentique. Juste pour prouver à mon actrice refoulée que c’était aussi possible de ne pas tout contrôler.

Que souhaitez-vous que les lecteurs retiennent de votre livre ?

J’ai envie qu’on se donne le droit de dépasser de partout, de ne pas être parfait, d’accueillir les peurs, les apocalypses intimes, les tristesses qui goûtent l’automne. J’ai envie de solidarité, de résilience, d’humour (j’ai beaucoup envie d’humour). J’ai envie que chaque lecteur identifie son propre why-why. Le mien, en tout cas, est sénile, apeuré, vestige de toutes mes déceptions, mes peines, partenaire de la désillusion. Mon why-why est dépendant de : l’alcool, les écrans, l’affection. Il change de visage quotidiennement. Parfois, il me hurle que mon corps est un détour informe dans la trajectoire de l’air. D’autres fois, il me fait pleurer devant le mur, sous la couverture, sur le divan, sous la douche. Il me donne envie de dormir ou de ne plus jamais dormir. Il raconte n’importe quoi au sujet de la vie, de la mort, de pourquoi, de comment.

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Un extrait de Combattre le why-why 

Rébecca

Savoir chanter c’est comme
Pis là attention
Je vais faire une métaphore coup-de-poing
Savoir parler toutes les langues de la Terre
All the languages
Non mais c’est vrai
La communication se fait pas au même niveau
Quand y a des notes d’impliquées
Tsé
Mettons
Si je savais chanter
Je vous jure
Que je serais capable de vous faire pleurer
Avec une phrase banale
Une phrase plate pis concrète
Du genre
« La table de pique-nique est cassée »
Mais on peut malheureusement pas faire le test
Parce que si je pousse la note
Vous
Vous allez vous pousser d’ici
Pis on sera pas plus avancés
Même si on va avoir poussé beaucoup de choses
To push things a lot
Chanter pour moi
C’est comme quand toi
T’es pas propre
Pis que tu sens pas bon à quelque part d’intime
Pis que là y a un chien de marde
Qui s’approche de toi
Pis qui se met le nez en plein là où ça pue
Pis qui renifle exagérément
Pis qui te stoole à TOUT LE MONDE
Que t’as des odeurs dans la région de la sexualidad
Bref t’aimes pas ça que le monde le sache  
T’as peur que ça brise la relation
If I sing the relation broke
En tant qu’autrice dramatique
Pour vous faire pleurer
Avec une phrase comme « La table de pique-nique est cassée »
Sans utiliser les variations symphoniques de ma voix
Faut que je mette un enfant sous la table
Que la table tombe sur l’enfant
Faut que je vous explique
Que ses parents
Ben y’ont pas d’argent pour y payer une paire de béquilles
À cause des problèmes de santé mentale de la mère
Liés à son enfance trouble
Peut-être abusée
Est-ce que la mère a été abusée ?
Qu’est-ce que l’abus ?
Pourrait-on parler de violences sexuelles ?
Qui est le personnage principal ?
L’enfant ?
La mère ?
The table ?
Bref
Si je suis ici ce soir devant vous
C’est pour vous avouer quelque chose de honteux
Shame shame révélachionne
Je suis jalouse des gens qui savent chanter
Jealousy Sing
Les gens qui savent chanter
Peuvent exprimer
La peine
La colère
L’injustice
L’amour
Peuvent exprimer le MMMBop
Le MMMBop
Oui oui
Pis ça
Le MMMBop
C’est puissant en tabarsbop
Ça m’a même aidée à traverser une des pires périodes de ma vie
À quatorze ans
J’étais anorexique
Pis c’est en écoutant « MMMBop »
En boucle
À l’hôpital
Que j’ai eu la force de m’en sortir
C’est pas rien
« MMMBop » pis hop !
Le bonheur !