Louise Marois naît à Montréal en 1960. Adore les hangars et les ruelles de son enfance et déteste l’école. Elle barbouille, dessine puis écrit de la poésie. Son premier recueil, La peau des yeux, reçoit le Prix Jacqueline-Déry-Mochon. Depuis, elle se consacre à l’écriture pour ne pas mourir et dessine pour vivre.
Comment s’est déroulée la création de l’œuvre ?
La cuisine mortuaire trace un autoportrait poético-social adressé à une femme qui disparaît lentement, qui s’absente à elle-même; ma mère. Le lieu qui les recueille c’est cette cuisine, hantée des bruits de la rue Garnier d’un Montréal des années 60-70, d’une famille d’ouvriers.
Parallèlement à l’écriture, le dessin. Et si dessiner était écrire autrement ? Une veste de laine ayant appartenu à ma mère est retrouvée après sa mort. Elle devient ma source d’inspiration. Au fil des jours, des tricots élimés, sortes d’ornements de pauvreté que je réalise dans le silence de l’atelier. Ils accompagnent le recueil, placés au centre tel le ventre d’un livre. Des tricots sont greffés à la végétation, à une chienne, à un nid. Ils sont patience, la mienne, comme la sienne, celle qu’elle n’aura eue que pour ça; ce lent travail des mains.
L’écriture se fait lentement, chaque jour, une page par-dessus une autre. L’écriture s’entrelace au dessin, tel un réel tissage. Les dessins avancent, s’imposent, provoquent l’écriture, à son tour l’écriture se liquéfie.
La cuisine mortuaire est la suite de Tu ne vois pas comme un oiseau. Mon plus récent recueil; J’élève des soleils, est sans aucun doute l’achèvement de ce triptyque que je n’avais pas prévu, que je n’avais pas planifié. C’est si souvent l’écriture qui mène.
Écrire pour partager des souvenirs certes, mais aussi pour trouver des réponses à cette multitude d’images accumulées depuis l’enfance, terrées dans notre thorax d’enfant devenu adulte. La poésie joue un rôle prédominant, elle est fragilité et par ailleurs sans ménagement. La poésie autorise merveilleusement bien des voies de passage. J’ose espérer que La cuisine mortuaire profitera de sa perméabilité, son ouverture sur le texte, son côté ludique et féroce pour amener tout près de moi, des gens passionnés pour l’art et l’écriture.
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Un extrait de La cuisine mortuaire
« le carré de lumière emprisonne
la prétendue humanité qu’il dessine
ton fantôme muet
écarlate
cette ressemblance dans ta vérité de femme
debout tranquille et lumineuse
ta main sur le verre sans jamais sentir que tu deviens
une apparition matinale »
*
« l’étau de ses doigts jaunis
tu tournes autour ravie qu’il soit là
cette fois tu ne dis rien sur les grains de tabac
la nappe marquée des plis de ta besogne
l’inquiétude délaisse ton front lisse une coquille
les brins blonds défont l’œuvre des jours
assise de biais pour l’observer le regarder au bout de la table des cérémonies
prêt à repartir
cette gifle que tu crois lui avoir assenée n’existe pas n’a jamais existé
tu imagines la parole donnée au visage »
*
« ce n’est pas l’envie mais le manque
de ne pas être regardée
ne pas te regarder de face ni de côté
comme il te dit souvent
r’garde-toé toé
tu cesses toute tentative t’éloignes du moindre reflet
tu plonges ton visage dans le creux de tes mains
prends l’exacte mesure de toi-même
tu disparais couleur chair le dos calé dans ta chaise
de jardin sans jardin »
*
« où que tu sois n’existe pas
les meubles brillent sous ta paume pleine
tu pousses le long des murs ta paresse au bonheur
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La cuisine mortuaire, par Louise Marois, Triptyque