Ce qui se cache derrière La nuit du 4 au 5

Le pièce La nuit du 4 au 5, de Rachel Graton, est en lice pour les Prix littéraires du Gouverneur général 2019 dans la catégorie Théâtre. 

Rachel Graton est diplômée de l’École Nationale de théâtre du Canada en interprétation depuis 2010. En 17/18 elle entame une résidence de 2 ans à la salle Jean-Claude-Germain avec La nuit du 4 au 5, prix Gratien-Gélinas 2017. Plus
importante récompense canadienne décernée aux auteurs dramatiques de la relève, ce prix est remis annuellement par la Fondation du CEAD avec le soutien de Québecor. En tant qu’auteure, elle s’inspire des gens qui trouvent la force de se
refaire une vie, ceux pour qui les épreuves sont des occasions pour recommencer, pour se réinventer. Cette démarche profondément humaniste s’accompagne d’une recherche formelle sur l’écriture théâtrale particulièrement réjouissante.

Rachel est également connue du grand public pour ses nombreux rôles au cinéma, à la télévision et au théâtre. Nous avons pu la voir au petit écran dans Les Simone, Faits divers et Au secours de Béatrice. Sur les planches, elle collabore avec
plusieurs metteurs en scène, nommons entre autres, Claude Poissant (Marie Tudor, On ne badine pas avec l’amour), Alice Ronfard (Une vie pour deux), Denis Marleau (Le Tartuffe) et Benoit Vermeulen (Le bilan).

Comment s’est déroulée la création de l’œuvre ?

Au début de l’âge adulte, j’ai vécu un évènement traumatisant. Il m’a fallu me réhabiliter et apprendre à donner du sens à ce qui venait de faire basculer ma vie. J’étudiais alors à l’École Nationale de Théâtre du Canada et l’art s’est avéré être un vecteur de discipline, d’effervescence créatrice et de stimulation intellectuelle. J’y ai acquis énormément d’outils pour m’affranchir de cet évènement. L’écriture étant au cœur de mes jours, de mes nuits, quelques années plus tard naissait le projet de La nuit du 4 au 5. J’ai eu envie de transformer cette expérience, de la transposer en un objet artistique pour à la fois conscientiser ceux qui recevraient l’œuvre et à la fois donner un peu de lumière à la résilience qui me portait.

Ce qui est particulier avec cette expérience, c’est que la création de la pièce de théâtre à la salle Jean Claude Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui a coïncidé avec la vague de dénonciation #moiaussi. Cela a surgi en plein milieu des semaines de représentation de la pièce. Nous avons alors senti une écoute complètement différente avant et après les #. Le public ne se cachait plus pour dissimuler les émotions et les réactions que lui procurait la pièce. Ils le vivaient collectivement. Ils me partageaient par la suite leur expérience. Ils acceptaient de réfléchir ensemble, de se laisser émouvoir ensemble et de faire une révolution ensemble. J’espérais offrir au public une œuvre qui parlait d’un traumatisme et le chemin vers la résilience et j’ai constaté que la pièce, en soi, pouvait devenir un moteur de résilience pour plusieurs. C’était au-delà de mes attentes et ce que j’espère profondément que l’art engendre.

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Un extrait de La nuit du 4 au 5

La mère parle-pense à sa fille dans ses yeux dans sa bouche et dans sa tête

Ils ont dit déshabille toi

Le sang est à qui

Elle a enlevé ses bottes ses bas son pantalon son chandail

Le bleu est à qui

Ils lui ont dit

Tu peux garder tes bas y fait froid

Ok

Elle a remis ses bas

Et la Emergency’s dress

Ils ont pris des prélèvements partout sur elle sur ses doigts son visage ses morsures

Qu’est-ce qui s’est passé

La mère pense       elle doit dire à sa fille qu’elle peut l’appeler qu’elle peut la rejoindre tu peux me

rejoindre quand tu veux je vais être là je vais arriver vite je vais venir te chercher

Les policiers et les médecins ont pris ses vêtements

Je te ferai couler un bain             avec de la mousse et cette fois- là         je te verrai toute
Nue               même si ça fait des années que tu ne m’appartiens plus et là           maintenant tu ne t’appartiens plus non plus          mais je te laverai sans pleurer et je te montrerai que ton lit est bon et qu’il n’ y a rien de mal quand je suis là        et ensuite à chaque fois que tu marcheras dans la rue je te suivrai pour que rien ne t’arrive tu ne me verras pas mais sur tes traces je vais mettre à l’avance des lumières pour te protéger et s’il y a quelqu’un qui te frôle je vais le tuer n’importe qui qui s’approchera de trop près je vais lui arracher je vais tout lui arracher sans savoir si c’est un homme ou une femme et tu verras que la rue elle est à toi et tu verras clair

Comment je peux ouvrir ta tête à moi tu peux me montrer

Ton esprit                      ta tête ta mémoire                  je n’y peux rien

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La nuit du 4 au 5, par Rachel Graton, Dramaturges Éditeurs

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