Diplômé de l’Université de Montréal en Études françaises, Jean-François Beauchemin a été par la suite pendant onze ans réalisateur à la radio de Radio-Canada. En 2004, il a décidé de quitter définitivement ce travail afin d’exercer à temps complet le métier d’écrivain. Auteur prolifique, il a publié à ce jour de nombreux romans, quelques récits, des carnets, des nouvelles et des recueils de poésie. Parmi les distinctions qu’il a reçues, mentionnons le prix France-Québec (Le Jour des corneilles, 2005), le Prix des Libraires du Québec (La Fabrication de l’aube, 2007), le grand Prix à la création artistique du Conseil des arts et des lettres du Québec (2012) et le Prix Hommage Gaston-Miron (2019). Il propose une œuvre pensive, lucide, imprégnée d’une poésie toujours ancrée dans le réel.
Comment s’est déroulée la création de ce livre ?
Je venais de passer quelques jours au chevet de mon gros chien Camus. L’étrange mal qui l’affectait depuis un moment prenait en effet des proportions inquiétantes, au point de menacer sa vie. Mais des soins attentionnés, un maximum de chaleur humaine et beaucoup de repos sont par bonheur venus à bout de cette mauvaise passe. L’idée m’est alors venue de mettre par écrit cette fulgurante, mais profonde rencontre avec le chagrin. J’ai donc écrit (presque d’un seul trait) La Source et le roseau, en trois mois. J’ai pris garde cependant de ne pas en faire un livre sur la peine, ou la mort. J’ai souhaité bien davantage mettre l’accent sur cette si poignante relation qui forcément s’établit avec les années entre un chien et son maître, et de façon plus large entre des êtres qui s’aiment.
Que souhaitez-vous que les lecteurs retiennent de votre livre ? Quel message vouliez-vous faire passer ?
Je n’aime pas trop les livres à message. Disons que ce que je voudrais que les gens retiennent de La Source et le roseau, c’est avant tout cette espèce de méditation apaisée qui en émerge. Et puis, aussi, j’espère que ses lecteurs seront au moins un peu sensibles à cette petite musique que j’ai tâché (comme toujours) de faire naître au milieu des phrases.
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Un extrait de La source et le roseau
Le choc de l’arrivée a été adouci par les démonstrations d’amour à son endroit. Sa réputation de quémandeur de sentiments le précédait : le personnel soignant, habitué à ce genre de circonstances solennelles, s’est spontanément attroupé autour de lui pour l’abreuver de caresses, d’éloges, de tendres réprimandes. Je retrouvais dans son regard l’étincelle des beaux jours. Mais ce vieux soleil était à présent voilé de larmes. Dans la petite pièce un peu froide, sagement adaptée à sa fonction, il a fallu le soulever et le déposer sur la table d’examen. L’étrange légèreté du corps m’a frappé comme un poing. Je me disais que l’amaigrissement des derniers mois ne suffisait pas à expliquer ce soudain allègement. Je lutte, depuis, avec une pensée qui ne me ressemble pas, mais dont je sens en moi les curieux effets de contrepoids. Ce soir encore, l’idée m’est venue que, pressentant la nécessité d’une sorte de rétrocession, Camus à ce moment s’était peut-être déjà délesté de son âme, et que ce poids en moins en représentait la juste part. Tout ensuite est allé très vite. Je me souviens des doigts palpant la patte à la recherche d’une veine, de l’aiguille promptement et le plus respectueusement possible enfoncée dans la chair, de la belle tête apeurée tenue entre mes mains, des paupières qui à la fin se baissent dans une espèce de douceur tragique, d’un front posé sur un front comme dans les adieux.