Daria Colonna est née à Montréal. Elle a cofondé les éditions de la Tournure. Elle est titulaire d’une maîtrise en recherche et création de l’UQAM. Elle est l’auteure de Nous verrons brûler nos demeures, publié aux éditions de la Tournure. Ne faites pas honte à votre siècle a été finaliste aux Prix des libraires, catégorie Poésie, ainsi qu’aux Prix du Gouverneur général.
Comment s’est déroulée la création de ce livre ?
Difficilement. Je ne savais pas comment exprimer « ça », j’ai compris très tard que c’est la forme qui donnerait le sens aux paradoxes qui m’habitaient dans cette histoire. J’ai écrit et réécrit dans toutes les formes et dans de multiples documents Word. J’avais un document de poèmes et un autre dans lequel j’essayais, sans jamais y parvenir, d’écrire un roman sur ma mère, dans sa forme canonique. J’échouais lamentablement à ces deux projets, que je réécrivais quand même de manière obsessive et avec une certaine cruauté envers moi-même, jusqu’à ce que j’aie l’intuition que les deux formes pouvaient se répondre. En mariant mes documents et après avoir supprimé les trois quarts des pages, j’ai eu l’impression que les passages narratifs créaient une cinématographie pour la poésie, une mise en scène de sa verticalité. Là seulement m’est apparue une pensée de l’écriture. La forme hybride s’est avérée plus fidèle aux paradoxes de ma pensée et de mon corps que toute autre forme conventionnelle.
Que souhaitez-vous que les lecteurs retiennent de votre livre ? Quel message vouliez-vous faire passer ?
Je ne veux faire passer aucun message, je n’ai plus de message. J’aimerais cependant offrir par l’écriture de ce livre une sensibilité aux paradoxes qui font notre intimité et notre vie relationnelle au cœur des grands récits. J’aimerais aussi, avec ce livre, encourager l’exploration des formes et l’explosion des cadres délimitant les genres littéraires.
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Un extrait de La voleuse
Et pour jeter le rideau sur cette jeunesse dont je n’ai plus souvenir, comme s’il s’agissait d’une erreur, j’écris dans l’absence des femmes qui m’ont faite, habituée aux bruits en tout genre autour de moi, habituée à écrire dans le vacarme des bébés et des disputes et des offrandes à l’alcool, pour comprendre ce trou noir, ce trou de mémoire en moi, ce quelque chose de suspect. Et alors faudra-t-il m’excuser, mes lecteurs et lectrices, d’avoir eu des vêtements, de l’argent de poche et des livres pour apprendre les mots qui font de l’ombre à la mort. Faudrait-il m’excuser pour les gens qui se sont occupés de moi à la place de ma famille, dans ces souvenirs dont je me languis à force de ne pas m’y voir. La famille est une idée du dernier siècle à laquelle je m’accroche pourtant sans savoir pourquoi ni en quel honneur, comme s’il s’agissait d’un Dieu torturé davantage qu’absurde, et qui a joué dans ma tête jusqu’à ce que je me croie maudite et de mauvaise conscience, empoisonnée et bonne à rien, honteuse, toxique et ingrate. La fille de ma mère.