Ce qui se cache derrière Le dernier Viking

Le livre Le dernier Viking, de Mario Fecteau, est en lice pour les Prix littéraires du Gouverneur général 2021 dans la catégorie Littérature jeunesse – texte.

Montage L'actualité

Né à Asbestos en 1962, Mario Fecteau a vécu dans la maison familiale jusqu’en juillet 2017, hormis un séjour de cinq ans à Sherbrooke. Après un an d’études en dessin industriel, il a décroché un emploi au ministère des Transports, au service de la signalisation et des marques sur la chaussée. Six mois plus tard, il optait pour un retour aux études au Collège de la région de l’Amiante (aujourd’hui le cégep de Thetford), puis à l’Université de Sherbrooke, en rédaction française.

Parce qu’il voulait être écrivain depuis sa lecture de l’adaptation en roman du film Star Wars, il s’est consacré entièrement à cette tâche. Après de nombreux refus, l’appel de Boréal fut le début d’une nouvelle vie pour lui. Il a continué à écrire… et ne compte pas s’arrêter de sitôt.

Comment s’est déroulée la création de ce livre ? 

Je n’ai rencontré aucune difficulté particulière dans l’écriture de ce roman. J’ai même eu quelques coups de chance, comme pour le chapitre 3, qui se passe à Novgorod. J’avais déjà prévu que le récit se déroulerait en 1137, et au cours de mes recherches, j’ai appris la révolte des habitants de cette ville en 1136. Pour le reste, les suggestions de la responsable de la collection jeunesse aux éditions Boréal ont grandement amélioré le récit. Même si, dans un premier temps, l’idée d’enlever un des personnages principaux paraissait ardue.

Que souhaitez-vous que les lecteurs retiennent de votre livre ?

J’espère que le lecteur aura passé un bon moment à la lecture de ce roman… et que j’aurai assez attisé sa curiosité pour l’inciter à en apprendre davantage.

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Un extrait du roman Le dernier Viking 

Chapitre 1, scène 2

[…] Astrid se précipita vers le port, indifférente à ceux qui la hélaient au passage, intrigués de son empressement. Ceux qui avaient entendu les nouvelles que rapportait le gamin comprenaient sûrement sa hâte. Au tournant d’une rue, elle vit le port, le drakkar du Gotlandais et l’attroupement à l’entrée du quai. Sans ralentir, elle rejoignit le groupe. Un homme se tenait en retrait, homme qu’elle reconnut, malgré les années écoulées. C’était bien Svein Arnsson.

Elle se précipita sur lui… et fut stoppée net dans son élan par son frère.

— Calme-toi, lança Bjørn.

— Mais c’est Svein Arnsson ! s’écria-t-elle. Il faut lui parler !

Son jumeau la fixa avec un sourire chargé de tristesse.

— Inutile, dit-il. Il n’est pas lui-même.

Interloquée, Astrid entendit la suite des propos de son frère comme s’ils lui parvenaient à travers le souffle d’une tempête. Bjørn affirmait qu’Arnsson avait perdu la raison et qu’il ne tenait que des propos incohérents. La jeune femme regarda le revenant — comment mieux nommer celui qui réapparaissait ainsi, après qu’on l’eut cru mort ? —, et comprit. L’homme trépignait sur place, le regard dans le vide, comme s’il ne reconnaissait pas son village, son chef ni aucun des siens. À le voir s’agiter de la sorte, comme pris de spasmes, Astrid sentit ses espoirs s’envoler.

[…]

Le chef Gunnar Berg était arrivé à la même conclusion que les autres à l’écoute du récit du commerçant.

— Il ne pourra donc rien nous apprendre sur le sort de l’expédition Nilsson, dit-il.

— Peu probable, confirma le marchand. Mais j’ai tout de même tenu à vous le ramener. J’imagine que sa famille sera heureuse de le retrouver…

Le chef secoua la tête.

— Il n’a pas de famille, expliqua-t-il. Sa femme et son fils sont morts quelques mois avant le départ de Nilsson.

Astrid sursauta. À l’évocation du nom de Nilsson, Arnsson brisa son mutisme :

— Partis, partis, partis, lança-t-il. Partis pour toujours. Partis, oui. Partis.

Tous s’étaient tournés vers le revenant, y compris le marchand, qui expliqua :

— Il tient des propos incohérents de ce genre depuis notre départ. La plupart du temps, il marmonne tout seul, dans son coin. Et quand on lui parle, il est difficile de déduire quoi que ce soit de ses réponses.

— Espérons que son état s’améliorera avec le temps, commenta le chef. Mais passons aux affaires…

[…]

Le chef conclut en invitant le Gotlandais à installer ses étals sur la place du village.

— Mais cela peut attendre à demain, précisa-t-il. Ce soir, nous donnerons un banquet en guise de bienvenue.

— Ce sera apprécié, sourit le marchand. Nous avons affronté une tempête particulièrement intense hier. Deux de mes hommes sont passés par-dessus bord dans cet orage. Avec le vent et les vagues, nous n’avons rien pu faire pour les sauver.

— Partis, partis, partis, clama tout à coup Arnsson. Ils sont partis, à présent. Partis à jamais…

L’intervention n’interrompit le marchand et le chef qu’un instant et ils reprirent leur discussion. Astrid, elle, restait concentrée sur le revenant. Arnsson s’était à nouveau muré dans le silence. Sa dernière intervention, cependant, trottait dans la tête de la jeune femme. Il lui semblait déceler un lien entre le commentaire et le précédent, quand avait été évoqué le souvenir de sa famille défunte. Un lien qu’elle estima devoir vérifier.

Elle s’approcha du marin avec prudence, pour ne pas l’effrayer.

— Et Finn Nilsson, lui… Est-il parti à jamais ?

La question fit un effet surprenant sur Arnsson. D’abord, ses tremblements cessèrent. Puis il tourna la tête vers son interlocutrice et enfin, ses yeux, qui roulaient sans cesse dans leur orbite, se fixèrent progressivement sur Astrid. Le revenant sembla même recouvrer la raison, ne serait-ce qu’un instant. L’homme sourit.

— Non, dit-il. Il n’est pas parti.

Du coup, Astrid se tourna vers les autres, son visage éclairé d’un sourire. Sauf que personne, visiblement, ne tirait la même conclusion qu’elle, qui lui paraissait pourtant évidente.

— Il parle des morts quand il dit qu’ils sont partis, expliqua-t-elle. Vous ne comprenez pas ? Pas même toi, Bjørn ?

Le regard de son jumeau trahissait sa profonde perplexité.

— Père est en vie !