L’auteur : Formé en interprétation théâtrale du Collège Lionel-Groulx, cuvée 2007, Simon Boulerice est un touche-à-tout épanoui. Chroniqueur radio (Plus on est de fous, plus on lit !) et télé (Cette année-là), il navigue également entre le jeu, la mise en scène, mais surtout l’écriture. Il écrit du théâtre, de la poésie et des romans, tant pour adultes que pour enfants. Parmi sa quarantaine de titres, il est l’auteur des célébrés Simon a toujours aimé danser, Martine à la plage, Javotte, Edgar Paillettes, PIG, Les Garçons courent plus vite, Florence et Léon et L’Enfant mascara. Ses œuvres, traduites en sept langues, ont été nommées, notamment, au Gouverneur général, aux Prix des libraires et aux Prix de la critique.
À 37 ans, Simon fait encore la split au moins une fois par jour.
L’illustratrice : Josée Bisaillon est née en 1982 à St-Hyacinthe, au Québec.
Après des études collégiales en graphisme, elle poursuit ses études à l’Université du Québec à Montréal en design graphique. C’est là qu’elle tombe en amour avec l’illustration.
Depuis 2005, son travail est reconnu et primé autant sur la scène nationale qu’internationale. Elle a entre autres été nommée à deux reprises aux Prix littéraires du Gouverneur général (2008, 2010), et lauréate du Marilyn Baillie Picture Book Award pour l’album The Snow Knows en 2017. En 2018, elle publie son premier album en tant qu’autrice-illustratrice, Reviens sur Terre Esther. Ses illustrations, un mélange unique de dessins et de collages, nous amènent à chaque album dans un univers poétique empreint de fantaisie, de couleurs et de douceur.
En plus de son travail en littérature jeunesse, Josée collabore à plusieurs magazines et journaux. Elle aime aussi donner des conférences et ateliers dans les écoles et bibliothèques, partageant ainsi sa passion pour l’illustration et la littérature.
Josée vit en banlieue de Montréal avec son conjoint leurs trois enfants et un chat sans poil.
Comment s’est déroulée la création de l’oeuvre ?
Simon Boulerice : Un jour, en classe, j’ai vu un enfant tirer sur ses manches pour cacher ses doigts. Je lui ai demandé s’il avait froid. Il m’a répondu que non, qu’il ne voulait simplement pas qu’on voie ses taches blanches, causées par le vitiligo. Ça m’a brisé le cœur. J’ai donc écrit cette histoire pour que ce petit garçon n’ait plus jamais honte de ça.
La dépigmentation de la peau gruge les doigts du petit Elliot, qui deviennent blanc-fantôme, alors que ses parents ont les doigts sombres ; sous leurs ongles, le père jardinier a de la terre, la mère mécanicienne a de l’huile. En filigrane, je propose – sans brusquer, je l’espère – de brouiller les stéréotypes de genre. Le père d’Elliot valorise les taches de son fils, fasciné tant par les cumulus que les barbes à papa, en le sacrant pelleteur de nuages professionnel. Ses éclaboussures blanches sont de la poésie sur lui.
Toute ma littérature est portée par cet élan vers l’autre, par ce souffle d’empathie. En plus de réhabiliter, voire revivifier une expression québécoise péjorative, Le pelleteur de nuages célèbre la différence de ce petit Elliot aux mains décolorées, mais au cœur multicolore.
Josée Bisaillon : Carole Tremblay de La Courte Échelle m’a proposé le texte de Simon me demandant si j’étais intéressée à illustrer ce livre. Je choisis mes projets en fonction du coup de cœur que j’ai pour le texte, et celui-ci, bien sûr, en était un. À la première lecture, je voyais déjà des images se former dans ma tête.
La conception d’un album jeunesse est un vrai travail d’équipe, j’aime avoir les commentaires des gens avec qui je travaille pour pousser mes illustrations plus loin. Dans le cas du Pelleteur, c’est la merveilleuse directrice artistique Julie Massy qui m’a amené à travailler différemment, en me proposant d’exploiter le côté plus dessiné de mes esquisses, qu’elle aimait particulièrement. J’aborde chaque album un peu différemment et les médiums que j’utilise dépendent de l’ambiance que je veux donner aux illustrations. Pour cet album, j’ai utilisé entre autres du pastel sec et du fusain, qui évoquent la douceur et le côté vaporeux des nuages, et fait un lien avec ce que dessine le personnage dans l’histoire. J’ai ensuite intégré ces dessins à mes collages. J’ai aussi utilisé du crayon de bois et de l’aquarelle.
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Un extrait du pelleteur de nuages
Elliot a une passion pour les nuages.
Il les aime tous. Les gris sombre qui froncent les sourcils avant l’orage, les colorés qui se pavanent comme de grosses fleurs dodues au coucher du soleil, les cotonneux qui s’étirent paresseusement comme des chats…
Souvent, quand Elliot décrit les nuages, son père l’appelle « le poète ».
Le printemps, l’été et l’automne, quand il fait beau, Elliot et son père se couchent le dos contre l’herbe. Ils pointent leur index vers les nuages. Le doigt du papa est brun chocolat, avec de la terre sous l’ongle. Celui d’Elliot est presque de la même couleur, mais par endroits, le chocolat au lait de sa peau semble taché de gouttes de chocolat blanc.
— Ce nuage-là ressemble à un voilier qui navigue sur l’eau ! s’exclame Elliot.
— C’est vrai ! reconnaît son père. Et celui-là ?
— On dirait un gros sablier pour mesurer le temps qui passe !
— En effet ! Ici, je vois un chien. Tu le vois aussi ?
— Je dirais plutôt un mouton en colère. Il vient de se faire manger la laine sur le dos.
— Tout à fait !
— Ah ! Et celui-là ressemble à un cornet de crème glacée ! Avec trois boules !
— Ça donne faim, hein ? rigole son père.
— Très faim.
— Viens, on va aller manger une sucrerie.
À la confiserie du coin, on vend plein de bonbons durs, mais surtout de la barbe à papa. C’est la gâterie préférée d’Elliot parce que les filaments de sucre lui rappellent des nuages ouatés.
Les papilles gustatives d’Elliot s’emballent et le garçon s’extasie :
— J’ai l’impression de manger des cumulus ! Et puis, ça laisse de jolies traces colorées sur mes dents, sur ma langue et même sur mes doigts, comme si les nuages faisaient de la peinture sur moi !
Et il pense tout bas : « C’est plus beau que les taches blanches sur mes mains… »
Quand Elliot se prend pour un poète, son père le surnomme le « pelleteur de nuages ». Le garçon ne sait pas trop ce que ça veut dire, mais il aime bien l’expression. Il s’imagine pelleteur professionnel, en habit de neige, juché au sommet des plus hauts pylônes électriques pour atteindre les nuages avec sa pelle.
Il s’imagine déblayer le ciel. Faire des montagnes de nuages pour dégager le bleu des cieux, comme une déneigeuse libère les routes en laissant des bancs de neige de chaque côté.
Il s’imagine aussi sculpter les nuages comme ça lui chante, comme on se fabrique un bonhomme de neige.
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Le pelleteur de nuages, par Simon Boulerice et Josée Bisaillon, La courte échelle