David Paquet est diplômé du programme d’écriture dramatique de l’École nationale de théâtre du Canada en 2006. Maintes fois primées ici et à l’international, ses œuvres ont été présentées dans plus d’une douzaine de pays en Europe et en Amérique du Nord. Parmi celles-ci, on compte Porc-épic , 2 h 14, Appels entrants illimités , Le Brasier , Les Grands-mères mortes (cosignée), Histoires à plumes et à poils (cosignée), Le Soulier, Chansons pour le musée (cosignée), Le Poids des fourmis ainsi que Papiers Mâchés et Le Voilier (manifeste du fragile) , deux solos de stand-up poétique qu’il interprète lui-même. En plus de sa démarche d’auteur, il accompagne régulièrement d’autres artistes en tant que dramaturge, formateur et professeur, entre autres pour l’École nationale de théâtre du Canada, le Centre des auteurs dramatiques et le Conservatoire d’art dramatique de Montréal.
Comment s’est déroulée la création de ce livre ?
Comme tous mes autres processus : par d’incessants allers-retours entre la joie et le doute. En gros : « cette pièce est pleine de promesses », suivi de « je suis un auteur usé », suivi de « oh, une lueur d’espoir », suivi de « c’est une de mes meilleures pièces à ce jour », suivi de « je n’ai plus l’énergie psychique requise pour exercer ce métier », suivi de « ce texte est terminé, j’en suis si fier, j’ai hâte de recommencer ».
Cela dit, avec Le poids des fourmis, il y avait une nouveauté : celle de m’attaquer, pour la première fois, de façon frontale à des enjeux sociaux politiques. Habituellement, je suis un adepte du surréalisme et de la fable intimiste. Cette pièce m’a permis, comme jamais, de nommer plutôt qu’évoquer. Si la fiction est à la fois un miroir et un refuge du réel, Le poids des fourmis tire davantage du côté du reflet que de l’abri.
Que souhaitez-vous que les lecteurs retiennent de votre livre ? Quel message vouliez-vous faire passer ?
Je ne suis pas porté tant par le message à livrer que par le manège à offrir. Avec Le poids des fourmis, sous fond de futur en dérive, je propose une série de collisions entre l’optimisme naïf, mais salvateur et la désillusion lucide, mais énergivore. Ces deux attitudes — et leurs nombreuses déclinaisons — s’entrechoquent tout le long de la pièce, à l’image d’autos tamponneuses dans l’arène de nos angoisses collectives. Idéalement, on en sort secoué, diverti et légèrement décoiffé.
Parallèlement à ces enjeux (ou, précisément, à cause d’eux), j’ai cherché à écrire une pièce pleine d’humour et de théâtralité. Une comédie satirique, donc : grossir pour mieux voir. Surtout, j’ai cherché à pointer l’ombre sans contribuer au cynisme. Si j’écris, c’est que je crois à la parole. Si je fais du théâtre, c’est que je crois à la rencontre. L’art peut vivifier ; de ça je ne doute pas.
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Un extrait du Poids des fourmis
LE DIRECTEUR, à l’interphone. Bonjour. Ici votre directeur. Vous pouvez arrêter de huer, moi non plus je vous aime pas. Comme vous savez, l’année passée on s’est retrouvés dans le palmarès des pires institutions scolaires du pays. Autrement dit, on est tous des losers. La première bonne nouvelle, c’est que je pars à la retraite dans un an, fait que je m’en fous. La deuxième, c’est que grâce à ce classement, on a obtenu une subvention spéciale visant à développer votre bla bla bla… C’est ainsi que cette semaine, on lance en grande pompe (bruit d’une flûte de fête poche) la Semaine du futur. En gros, on organise des élections scolaires pour vous faire croire que vous avez du pouvoir. Pis après, on organise un party costumé pour vous faire oublier que vous en avez pas. Êtes-vous excités ? Moi non plus. Bonne journée.
[…]
LA MÈRE D’OLIVIER. Veux-tu des crêpes ou une omelette ?
OLIVIER. Sais-tu combien de gens déjeuneront pas aujourd’hui ?
LA MÈRE D’OLIVIER. Justement. Mange pour eux autres.
OLIVIER. Je viens de rêver que je recevais la Terre morte en cadeau.
LA MÈRE D’OLIVIER. Un rêve ! Qu’est-ce que tu penses que ça veut dire ?
OLIVIER. Me semble que le message est clair…
LA MÈRE D’OLIVIER. Je reviens avec mon dictionnaire des rêves. Donc… Recevoir une claque… Recevoir un courriel… Recevoir un cadeau… Recevoir la Terre en cadeau… Recevoir la Terre morte en cadeau… (Elle lit et s’arrête rapidement.) Oh… C’est pas bon signe.
OLIVIER. Tu m’étonnes… Qu’est-ce que ça dit ?
LA MÈRE D’OLIVIER. Ça dit : « Vous êtes dans marde. Tous et toutes dans marde. L’humanité au complet, dans marde. » Laisse faire ça, c’est juste un livre… Si t’arrêtais d’écouter des documentaires, aussi ? Je l’ai vu ton historique. Je le sais ce que tu googles : Réchauffement climatique. Surpopulation. Images de familles migrantes qui coulent au fond de la mer. Tu pourrais pas être comme le reste des jeunes de quatorze ans pis écouter des mangas pis de la porno ? Me semble que tu ferais des plus beaux rêves…
OLIVIER. J’ai quinze ans. Pas quatorze.
LA MÈRE D’OLIVIER. Mon Dieu que ça passe vite.
OLIVIER. Justement. Il reste pus beaucoup de temps pour sauver la planète.