Après 35 années d’enseignement du français au secondaire, Reynald Cantin se retire du monde de l’éducation en juin 2005 afin de se consacrer à ce qui était déjà, depuis 20 ans, son passe-temps favori : l’écriture pour la jeunesse. Il publie d’abord pour les adolescents, chez Québec Amérique, une trilogie qui est plus tard réunie en un volume intitulé Ève Paradis, où la jeunesse d’ici est dépeinte avec compassion mais sans compromis par l’intermédiaire d’une jeune héroïne passionnée, indépendante et généreuse. Reynald Cantin se consacre aussi à l’écriture pour les plus jeunes, dans des ouvrages publiés aux éditions FouLire et Boréal Junior. Il est aussi un animateur très actif dans le cadre de divers programmes, notamment La culture à l’école.
Comment s’est déroulée la création de ce livre ?
Le premier jet date de plus de 20 ans. Ça s’intitulait Maman et Pompette. Refusé à l’époque par tous les éditeurs, j’y avais renoncé.
L’an passé, au hasard d’une conversation concernant un autre manuscrit, j’ai évoqué ce texte (qui aborde un sujet fort délicat) auprès de Catherine Ostiguy, chez Boréal. Intriguée, elle m’a offert de le lire.
Elle y a cru tout de suite, ce qui m’a permis de vivre avec elle une collaboration professionnelle spontanée des plus bienveillantes… et sans complaisance.
Résultat : une histoire à la fois grave et légère écrite dans le plus grand respect du jeune lectorat auquel elle s’adresse.
Que souhaitez-vous que les lecteurs retiennent de votre livre ?
Je souhaite que ce livre soit bienfaisant.
Il évoque en filigrane un drame terrible vécu jadis par la mère de l’héroïne et narratrice, Sophie, une fillette qui veut trop vite sortir de l’enfance.
Y est ainsi racontée une journée fort mouvementée et au final des plus heureuses, au cours de laquelle s’achève, sous les yeux de Sophie, la guérison ultime de sa mère. Mais ce vécu marquera surtout le début de l’émancipation de la jeune fille, et même de celle de son père, dont les plaisanteries ne sont pas toujours de bon aloi.
Ainsi, je souhaite que le jeune lectorat, par le récit de cette fillette encore naïve, vive avec elle ce bonheur nouveau et vaste qui se répand ce jour-là sur elle et sa petite famille… et croie qu’un tel affranchissement est possible en toutes circonstances.
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Un extrait de Les bulles
C’était un samedi soir tard et Justine, ma gardienne, n’avait pas encore réussi à me coucher. Je résistais même si, en vrai, j’avais les yeux qui piquaient et la tête lourde. Vois-tu, je trouvais que j’avais passé l’âge d’être gardée. Je commençais à en avoir assez d’être traitée comme une enfant. Alors, pour protester, je restais éveillée.
— J’suis pas fatiguée !
— Sophie ! Il est plus de minuit, là !
Et ainsi de suite. Tu vois le genre.
De toutes mes forces, je résistais comme ça à Justine quand papa a poussé la porte d’entrée. Maman, je ne l’ai pas vue tout de suite, mais je l’ai entendue. Elle riait. Elle riait tellement fort que j’ai arrêté de me chicaner avec la gardienne.
Papa avait dû lui faire une grosse blague.
Mon père, vois-tu, c’est un comique. Des fois, maman dit que les grosses blagues de papa vont trop loin. Moi, petite, je ne comprenais pas comment une blague pouvait aller loin. Ou être grosse.
Aujourd’hui, je comprends.
Il faut savoir que dans ce temps-là je ne faisais jamais de blagues. Même pas des petites. Je ne savais pas comment. Je prenais tout au sérieux. Même les farces de papa. C’est pour ça que, quand maman est rentrée en riant si fort, je ne trouvais pas ça drôle du tout.
Même que ça m’inquiétait de la voir dans cet état.
Pourtant, elle était super belle, maman. Elle portait une jolie robe verte, luisante, avec des talons qui la grandissaient. Ses cheveux étaient remontés et retenus par une barrette scintillante. Son visage était maquillé comme celui des grandes filles maigres et riches que papa s’amuse à admirer dans les revues. Il en fait parfois tout un plat, juste pour agacer maman.
Mais ce soir-là, maman ne se tenait pas raide comme les filles des magazines. Elle ne souriait pas dans le vide non plus. Oh non ! maman riait ! Et pas rien qu’un peu. Elle riait à se tordre. Tellement que, quand elle a voulu accrocher sa veste à la patère de l’entrée, elle a manqué le crochet, et la veste est tombée par terre.
Papa refermait la porte, derrière, et quand il a vu ça, il a dit :
— La veste, elle est patère !
Maman a éclaté. Éclaté de rire, je veux dire. Sûrement à cause de la blague idiote de papa, que je ne comprenais même pas. Elle riait si fort qu’elle n’a pas eu la force de ramasser son vêtement, elle qui ne veut jamais que je laisse traîner mes affaires.
Avec son doigt, elle pointait la veste et elle répétait :
— Patère ! Patère !
Comme si elle voulait lui ordonner de sauter sur le crochet.
Et ça la faisait rire encore plus.