Ce qui se cache derrière Les carnets de novembre

Le livre Les carnets de novembre, de Marie-Hélène Jarry, est en lice pour les Prix littéraires du Gouverneur général 2022 dans la catégorie Littérature jeunesse – texte.

montage : L’actualité

Marie-Hélène Jarry est née à Montréal et y a vécu la plus grande partie de sa vie. Après un baccalauréat en lettres françaises et une maîtrise en littérature québécoise, elle s’est dirigée vers la traduction, où elle a fait carrière pendant de nombreuses années. Attirée par la fantaisie qu’offre le livre jeunesse, elle a fait paraître des albums avant d’explorer de nouveaux genres, dont la poésie et le petit roman. Plusieurs de ses livres ont eu un parcours remarqué par des mentions et des nominations à des prix.

Comment s’est déroulée la rédaction de ce livre ?

Un jour, en passant devant une papeterie, j’ai imaginé une jeune cliente qui, prenant un carnet au hasard, y écrirait quelques mots et le redéposerait. Elle reviendrait ensuite en écrire d’autres, dans d’autres carnets : un acte de délinquance poétique ou de poésie délinquante. En poursuivant ma route, je me suis demandé ce qui arriverait si l’un de ces messages était lu. Sur qui tomberait-il? Est‑ce que cette jeune fille découvrirait un jour qui avait lu ses mots?

Au retour, j’ai noté cette idée dans mon carnet. Des années plus tard, un matin où je regardais par la fenêtre de mon bureau, elle a refait surface, bien nette, sur fond gris de novembre.

J’ai commencé immédiatement la rédaction, m’inspirant de la première neige qui s’est mise à tomber ce jour-là, pour mon plus grand bonheur.

Puis est survenue la pandémie, qui m’a obligée à rester plus longtemps que je ne l’aurais voulu, peut-être, devant ma fenêtre. Mais qui fut sûrement bénéfique pour mon écriture.

Quel message voulez-vous faire passer ?

Mon livre Les carnets de novembre est une histoire de mots qui font leur chemin. Une histoire qui illustre leur pouvoir, un pouvoir tel que même des mots lancés au hasard, s’entrecroisant entre inconnus, peuvent changer le cours d’une existence.

En l’écrivant, j’avais en tête les jeunes à l’aube de l’adolescence, souvent confrontés aux graves questions de la condition humaine alors que leur cœur voudrait rester dans la légèreté, prolonger un peu l’enfance. Les magnifiques 12-13 ans. Plutôt qu’un « message » à leur transmettre, je parlerais d’un état que j’aimerais leur procurer par mon livre, un état d’apaisement et de confort. Qu’ils puissent goûter, le temps d’une lecture, à une certaine douceur de vivre. Et qu’ils puissent, bien sûr, en retirer de l’espoir.

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Un extrait de Les carnets de novembre

LE CARNET VERT FLUO

SAMEDI, DERNIÈRE NEIGE, RÉCHAUFFEMENT ET AMAZONIE

Marjorie se réveille avec les mots du carnet qui tournoient dans sa tête comme des flocons fous : « lumière », « tristesse », « dehors novembre ». Des mots pleins de mélancolie.

C’est samedi et elle aimerait courir à la papeterie pour voir si un commentaire a été ajouté à son tout dernier.

Dehors, le ciel gris pâle a viré au gris foncé. Marjorie a toujours le sentiment qu’il veut s’abattre sur elle et que, s’il le pouvait, il l’avalerait dans son ventre glacé.

Elle frissonne. Heureusement, elle porte son manteau le plus chaud : au moins, son corps ne souffre pas trop de cet hiver précoce. « Dehors novembre », se répète-t-elle en pensant au carnet. Deux petits mots si banals, mais tellement vrais aujourd’hui.

Chez Bonne mine, déception : le carnet vert fluo a disparu ! En plus, PM est là à empiler des rames de feuilles non loin du rayon qui l’intéresse. Difficile d’entreprendre de grandes recherches avec lui dans les pattes.

PM lui tourne maintenant le dos. C’est sa chance. Elle inspecte chaque étagère, soulève, déplace et replace les dizaines de carnets et, tout à coup, elle aperçoit sous une pile de blocs-notes… mais oui, c’est bien ça, une petite ligne fluorescente ! Elle tire sur le carnet et s’empresse de l’ouvrir. Sous son dernier commentaire, il y en a un nouveau !

Et si c’était la dernière neige ?

Qu’est-ce que ça veut dire ? Plutôt déprimant comme pensée. Une allusion à un genre de fin du monde ? À cause des changements climatiques ?

Elle ajoute à sa suite :

La Terre se réchauffe, mais pas si vite que ça.

Puis elle replace le carnet là où elle vient de le trouver. Si la personne qui l’a mis à cet endroit a envie de revenir voir s’il y a une réponse, elle le cherchera sûrement là.