Edem Awumey est né en 1975 à Lomé, la capitale du Togo. Se considérant comme un écrivain voyageur entre les mots et les géographies, il a publié en France, en Italie, en Allemagne et au Québec. En 2000, il se voit décerner la bourse UNESCO-Aschberg qui lui permet d’être écrivain en résidence à Marnay-sur-Seine, en France. Son premier roman, Port-Mélo, paraît en 2006 chez Gallimard et lui rapporte le Grand Prix littéraire de l’Afrique noire. Protégé de l’écrivain Tahar Ben Jelloun, il participe au programme artistique Rolex Mentor en 2007. En 2009, il est sélectionné pour la première liste du prix Goncourt pour son roman Les Pieds sales, publié aux Éditions du Boréal. Chez le même éditeur, il a également fait paraître les romans Rose déluge (2011), Explication de la nuit (2013), qui sera traduit en allemand et publié en 2020 par Weidle Verlag, et Mina parmi les ombres (2018).
Comment s’est déroulée la création de l’œuvre ?
Les premiers mois de ce projet m’ont d’abord permis d’observer mon environnement, de suivre l’actualité, faire quelques recherches et affiner ma vision et mon portrait du personnage solitaire et rebelle (Mina, Kerim) au cœur des systèmes intégristes et de violence. De Montréal à Lomé, Kerim et Mina sa muse se devaient de porter une parole subversive et d’assumer une démarche à contre-courant des dogmes et de la fatalité. J’ai voulu que Kerim le photographe soit un artiste libre de traiter le réel et les visages (tristes, lumineux, fermés, voilés, découverts…) à sa façon. Dans la même logique, Mina est libraire. Dans les livres, elle trouve un lieu essentiel de liberté.
Que souhaitez-vous que les lecteurs retiennent de ce livre ? Quel message vouliez-vous faire passer ?
Simplement, je souhaite que les lecteurs aient part à l’audace et à la folie du personnage. Comme Mina et Kerim, qu’ils parcourent les rues de l’imaginaire et du réel la tête pleine de rêves. Qu’ils vivent ce qu’ils savent déjà : pour changer le monde, triompher des intégrismes, du racisme, de la dictature, pour vaincre l’ignorance et la bêtise de ceux qui pensent que notre planète n’est pas en danger, il faut souvent assumer la part d’indocilité de notre démarche. Un message ? Juste suivre Mina et Kerim dans leur cheminement et voir comment, à travers l’art, la photo, les livres, ils essayent de se construire loin des moules qui tentent d’uniformiser nos actes et pensées, loin des discours politiques clivants, loin et en route vers ce territoire où ils tentent simplement de s’aimer.
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Un extrait de Mina parmi les ombres
Juin, les mêmes oiseaux et corps crevés traversent le ciel et les rues du Port et cela fait un mois que je suis sans nouvelles de Mina. Elle a progressivement cessé ses appels et sa correspondance, passant de longs courriels où elle décrivait ses multiples travaux et le pays à un tout petit paragraphe, puis à quelques phrases, de plus en plus rares, pour finir par un message laconique, Salut, comment te portes-tu? Ici, ça va pas très fort. L’ennui, la pesanteur, la peur. J’ai peur. Mina, mon capricieux modèle auquel je finis toujours par revenir, Mina posant, dansant seule sa farandole devant l’objectif de mon antique appareil Nikon. Un mois, depuis cet ultime salut qu’elle m’a envoyé dans mon printemps montréalais. Son silence m’était intenable, aussi l’ai-je relancée avec des dizaines de messages et d’appels, sans succès. Mina la mouche s’est comme évaporée, dans un effacement progressif de la voix, du souffle, des mots. Les mots, c’est tout ce que nous possédions, des bouts de rêves, quelques folies aussi, et les canons d’une armée de la République braqués sur des émeutiers en colère dans les rues du Port surchauffées par le plus mesquin des soleils.
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Mina parmi les ombres, par Edem Awumey, Éditions du Boréal