Ce qui se cache derrière Où est ma maison ?

Le roman Où est ma maison ?, d’Édith Bourget, est en lice pour les Prix littéraires du Gouverneur général 2019 dans la catégorie Littérature jeunesse – texte. 

Artiste effervescente, Édith Bourget est née à Lévis. Elle a étudié en graphisme et en création littéraire à l’Université Laval, a travaillé en publicité, puis a créé des expositions multidisciplinaires. Ses œuvres ont été vues au Canada et à l’étranger.

Vivant et créant à Edmundston, au Nouveau-Brunswick, Édith Bourget a publié 31 livres pour les jeunes : albums, recueils de poèmes et romans. Ses deux premiers recueils de poèmes chez Soulières éditeur, Autour de Gabrielle et Les saisons d’Henri, ont été finalistes aux Prix littéraires du GG. Autour de Gabrielle a reçu le Prix France-Acadie. L’auteure a participé au collectif Oh ! la vache ! (Soulières éditeur), finaliste au Prix TD 2011.

Édith Bourget a obtenu des bourses du Conseil des Arts du Canada et du Conseil des arts du Nouveau-Brunswick. Elle a été invitée à des festivals au Canada (WordFest, Vancouver International Writers Festival, Métropolis bleu, entre autres) et à l’étranger (La Bataille des livres, Suisse, la Fête du livre de Merlieux, France). Elle a séjourné en Haïti, présenté ses livres au Salon du livre de Paris et de Genève. Elle sillonne le Canada pour parler de ses livres aux élèves.

Elle adore voyager et parler de la beauté du monde. Elle veut rester en mouvement, relever des défis. Elle espère que ses mots contribueront à alléger des cœurs.

Comment s’est déroulée la création de l’œuvre ?

À l’automne 2015, la guerre fait toujours rage en Syrie entraînant une migration de la population fuyant le conflit. Le gouvernement canadien annonce qu’il accueillera 25 000 réfugiés syriens.

Des citoyens, craignant que des terroristes entrent ainsi au pays, s’opposent à cette action humanitaire. Ils prennent d’assaut les médias sociaux, alimentant cette peur et provoquent de vives réactions autant des gens qui sont contre cette arrivée que ceux qui sont pour.

Pour contrer cette vague de protestations, la comédienne Danielle Létourneau a l’idée de créer un mouvement de solidarité citoyenne. Elle lance la page Facebook 25 000 tuques où elle demande aux gens de tricoter des tuques qui seront remises à chaque réfugié syrien en signe de bienvenue.

Comme des milliers des gens d’ici, et d’autres pays, j’ai tricoté.

Et c’est en tricotant mes trois tuques que j’ai imaginé ce roman traitant d’immigration et d’intégration. Il met en scène trois jeunes vivant à Montréal : Vilmont né au Québec de parents haïtiens; Juan, un Colombien adopté par Simone; et Moonif qui arrive de Syrie avec sa famille. Chacun se questionne sur son identité, voulant trouver sa place ici.

Que souhaitez-vous que les lecteurs retiennent de ce livre ?

Dans Où est ma maison ?, je parle de la difficulté de s’adapter à un nouveau pays et du besoin qu’ont les gens de connaître leurs origines. Ce serait formidable si chacun de nous accueillait l’autre avec curiosité, respect et bienveillance, en s’intéressant à son histoire et sa quête. Ouvrir son cœur change la vision qu’on a du monde et chasse la peur de l’autre. En fait, nous avons tous à peu près les mêmes rêves.

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Un extrait de Où est ma maison ?

Si cette guerre n’avait pas eu lieu, je serais en Syrie, chez moi. J’irais à l’école, je jouerais au foot avec mes amis, j’aiderais les jumeaux dans leurs leçons et papa à construire un pavillon dans le jardin. Je tiendrais les fleurs que maman cueillerait pour créer d’énormes bouquets. Je taquinerais Nooda ou une de ses amies. Je flânerais dans les rues d’Alep, juste pour le plaisir de marcher et de sentir le vent sur mon visage. En regardant le ciel, je rêverais d’amour. Fathi serait à mes côtés. Nous bavarderions. Tout serait parfait.

Tout ça n’existe plus et n’existera plus jamais. Non, rien ne sera pareil. Jamais. Quand je pense à ça, ma colère augmente encore. Je serre les poings. J’en veux à tous ceux qui ont fomenté cette guerre qui continue de terroriser mon peuple et de détruire mon pays. J’en veux à ceux qui ont anéanti notre vie, qui nous ont forcés à tout abandonner, à passer des mois dans un camp surpeuplé, à nous expatrier au Canada. Cette colère m’a envahi comme une tumeur sournoise. Elle  grossit encore, me ronge. Parfois j’ai si mal que je perds complètement le contrôle. J’éclate. Je crie des injures à mes parents. Je me déchaîne. Je passe d’une pièce à l’autre en lançant sur le mur ce qui me tombe sous la main. Papa tente de me calmer et finit par crier aussi fort que moi. Maman pleure et supplie le ciel. Mon frère et mes sœurs sortent dehors en vitesse. Je fais peur à tous. Je suis un monstre. Je ne vaux pas mieux que les assassins de Syrie. Je pourrais tuer moi aussi. Même si ce n’est pas la guerre ici. J’ai peur de ce qui pourrait arriver. Reprends-toi, me supplie papa.  J’essaie de me raisonner. Je voudrais retrouver la paix en moi.

Après les crises, je suis crevé et je m’en veux de faire vivre ça à ceux que j’aime, qui m’aiment. Je deviens amorphe. Papa peut alors me parler. Je l’écoute. Il me conjure de me ressaisir, qu’il comprend ma révolte. Que ce n’est pas en cassant tout que je me libérerai de ce ma peine. Je le sais !

– La violence engendre la violence, mon fils. Tu portes la guerre en toi. Tu ne guériras pas comme ça. Invente-toi une nouvelle vie, comme nous essayons tous de le faire. Ne regarde plus en arrière. Chéris tes beaux souvenirs, essaie d’oublier les néfastes. Nous sommes là pour t’aider.

Quand papa me murmure ces mots, ça me semble réalisable. Il y a au moins une chose dont je suis certain : je veux une vie heureuse.

Est-ce possible ?

Je veux me convaincre que oui.

Il faut que ce soit possible. Sinon pourquoi être venu ici ?

Comment y parvenir ?

Certainement pas en nourrissant ta colère, en restant accroché au passé et en t’apitoyant sur ton sort, me dirait Fathi. Mon ami m’en voudrait de ne pas sauter sur la chance que j’ai.

La chance d’être vivant.

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Où est ma maison ?, par Édith Bourget, Les éditions du soleil de minuit

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Je suis très heureuse de savoir que « Où est ma maison » est en lice pour un important prix littéraire.
Félicitations Édith!
Louisette