Née à Montréal, Marie Frankland est traductrice littéraire spécialisée en roman et en poésie ainsi qu’adaptatrice pour le doublage. Elle a remporté le prix John-Glassco pour sa traduction du recueil The Rocking Chair, d’A.M. Klein, en plus d’avoir été finaliste au prix de traduction de la Quebec Writers’ Federation. Elle est en lice pour les Prix littéraires du Gouverneur général pour la troisième fois.
Comment s’est déroulée la traduction de ce livre ?
Elle fait suite à une rencontre littéraire marquante pour moi. J’ai traduit The Assumption of the Rogues and Rascals (L’arrogance des vauriens, Les Allusifs) – qui en quelque sorte complète le mouvement amorcé dans À la hauteur de Grand Central Station je me suis assise et j’ai pleuré – en 2013, puis la biographie d’Elizabeth Smart en 2016 (Le cœur jamais éteint, Leméac). Je me suis entièrement reconnue dans cet être. Le projet de traduire l’ensemble de ses poèmes versifiés s’est imposé. Les Éditions du Noroît m’ont permis de le faire. Le travail s’est échelonné sur quelques années, les versions se sont succédé. Elles furent innombrables et pourraient être tout autres.
Quel message avez-vous retenu de ce livre ?
Que l’obéissance et la révolte ne sont pas des choses contradictoires.
Qu’il y a de l’héroïsme là où on ne le devine pas.
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Un extrait de Poèmes 1938-1984
Cette souffrance est-elle justifiée ?
Cette souffrance est-elle justifiée ?
Figée comme un monstrueux mort-né
Dans une panique de Noël :
Une in-enveloppable
Et in-submersible
Mélancolie.
Si la mémoire travaillait
Plus de trois jours par semaine
L’euphorie franchirait ma porte
Vêtue d’habits étincelants
Mais je ne me rappelle plus mes amours
Ni le confort chaleureux
Des encouragements d’autrefois.
Courage est bien le mot
Mais je dois rassembler toutes mes forces
Pour pouvoir porter la foi
Tel un famélique jumeau
Jusqu’au désespoir repu.
Encore quelques heures
Et les gens et la joie
Chasseront cet état.
Les simples faits. Je sais. Je le sais ? Vraiment ? Mais non.
Je ne commettrai pas le péché
De souffrance injustifiée,
Quatre jours à se vautrer
Dans une liaison obscène
Avec une brute qui abuse
De moi quand personne ne regarde.
Combien jadis je rêvais
De silence et de solitude.
Car un jour ou deux plus tard
Descendaient des anges
Apparus de nulle part
Pour m’ouvrir les cieux
Par une consommation constante
Indépendante des choses
Et des circonstances humaines
Toute la journée, toute la nuit,
Dans un long long amen.
Mais ils se sont envolés
Comme à leur habitude
Pourquoi reviendraient-ils ?
Pourquoi continuer à espérer
Leur prodigieux sauvetage ?
J’y renonce. Ils sont partis
Avec raison.
Pourquoi s’attarderaient-ils
À une psyché si repoussante
Pour brancher des fils arrachés
Que ne parcourt nulle électricité ?
Les corbeaux tournoient
Dans un champ aride
Les génisses ruminent
Les oisillons se tapissent
Dans un buisson froid
L’horloge fait tic-tac
Les murs grognent
Chaque arbre
Dénonce la futilité.
Des paquets tout emballés
Sont pleins de déchets.
L’esprit est las, la chair l’est encore plus
De tout ce qui les entoure
Le message apparaît soudainement :
Le désespoir est partout.
Pourquoi alors cette douleur ?
Cette souffrance injustifiée ?
Pourquoi je ne sais pas
Pourquoi je souffre tant ?
Dans la petite pièce
Que j’arpente à l’infini
Je suis aveugle, sourde et hébétée
Déformée par la mélancolie.