Ce qui se cache derrière Stella, qu’est-ce que tu fais là ?

Le livre Stella, qu’est-ce que tu fais là ?, de Sandra Sirois, est en lice pour les Prix littéraires du Gouverneur général 2021 dans la catégorie Littérature jeunesse – texte.

Montage L'actualité

Sandra Sirois travaille depuis plus de 10 ans dans le domaine des médias et des communications. On a pu la voir, entre autres, comme reporter, présentatrice et chroniqueuse à Radio-Canada, MétéoMédia, TVA et Télé-Québec. Elle est actuellement scénariste pour le Groupe Média TFO. Stella, qu’est-ce que tu fais là ? est son troisième roman.

Comment s’est déroulée la création de ce livre ?

Stella, qu’est-ce que tu fais là ? a été le livre le plus difficile à écrire de toute ma vie ! J’ai été victime d’intimidation lorsque j’étais jeune, et je n’en avais jamais vraiment parlé à personne. Faire sortir le méchant, ça fait mal, mais après, je me suis sentie libérée. Ç’a été une forme de thérapie.

Que souhaitez-vous que les lecteurs retiennent de votre livre ?

Il s’agit d’une critique de notre société basée sur le pouvoir et l’image qui conduit souvent, malheureusement, aux comportements toxiques sous toutes leurs formes. Je voulais défaire ce stéréotype selon lequel ce sont les « nerds à lunettes » ou les gens aux physiques « différents » qui se font intimider. L’intimidation peut toucher n’importe qui, dans n’importe quel milieu, peu importe son âge, son statut social, ses origines ethniques, la couleur de sa peau, sa tenue vestimentaire ou son orientation sexuelle. Ce que je souhaite par-dessus tout avec ce livre, c’est qu’il puisse toucher les jeunes qui vivent des situations difficiles et qu’il les incite à aller chercher de l’aide. Je veux surtout dire aux adolescents de ne pas tout garder en dedans et d’en parler dès que possible, avant que la situation dégénère.

Aussi, je souhaite enseigner aux jeunes le pardon, même dans les situations les plus difficiles. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises personnes dans la vie, seulement des gens qui vont bien ou qui ne vont pas bien. Les personnes qui ne vont pas bien sont celles qui font le plus de dommages autour d’elles, souvent sans s’en rendre compte.

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Un extrait de Stella, qu’est-ce que tu fais là ?  

À mon grand étonnement, sur le chemin du retour, les garçons m’ont laissée tranquille. Comme des bandits se sachant épiés par la police, ils ont probablement voulu calmer le jeu pour ne pas aggraver leur situation. Et surtout, pour ne pas ternir leur fausse image de bons petits garçons.

Malgré la quiétude dont je bénéficie aujourd’hui, je reste bouleversée. J’ai été incapable de me concentrer pendant les cours qui ont suivi la scène du vestiaire. L’horrible sensation d’être prise au piège dans la douche continue de me hanter. Mon corps en tremble encore. C’est comme si leurs sales mains tentaient toujours de baisser mon soutien-gorge. Les airs malicieux de Louis-Philippe, Hugo et Charles ne cessent de tourner dans ma tête. Comment des êtres humains peuvent-ils en venir à ça ? Si je suis si laide, pourquoi ont-ils essayé de me déshabiller de force ? Suis-je la seule qu’ils oseront traiter comme ça ?

Je me sens si coupable… J’aurais dû suivre les conseils des autres élèves et me fondre dans le groupe. Tout le monde me déteste. Louis-Philippe, Hugo et Charles sont si populaires, ils ne doivent certainement pas menacer toutes les filles de l’école. Ils ne seraient pas si appréciés s’ils agissaient ainsi avec tout le monde. S’ils m’ont fait ça, c’est peut-être parce que je l’ai mérité.

J’essaie très fort d’effacer leurs visages de mon esprit, en me répétant que ce n’est rien de dramatique. Ça a duré une dizaine de minutes à peine, je vais passer par-dessus. Toutes les personnes à qui je raconterai cette histoire m’assureront que ce n’est pas si grave : après tout, je n’ai pas été violée. Elles ne comprendront pas le contexte toxique, elles ne réaliseront pas l’intensité de la peur ou l’humiliation. Elles affirmeront que tout est dans ma tête, que je suis hypersensible. Les gens tenteront de me rassurer, en me disant : « Ben là, c’est juste des gars qui niaisaient une nerd. En plus, ils te répétaient que tu es laide. Ils n’allaient clairement pas te violer si tu n’étais pas de leur goût… » Je ne sais même pas moi-même s’ils allaient se rendre jusque-là.

Oui, ils m’encerclaient, mais j’aurais peut-être dû foncer dans le tas au lieu de figer ? D’ailleurs, pourquoi ai-je figé ? Je me pose moi-même la question.

Soudainement, je suis de nouveau foudroyée par une poussée de haine. Je ne peux pas croire ce que je viens de subir. C’est inacceptable, effroyable ! En plus, peu importe ce qu’ils font, ils ne sont jamais punis ! Jamais ! C’est d’une injustice à faire vomir ! Aucun garçon n’a le droit de dévêtir une fille de force ! Tout le monde devrait savoir ce que j’ai subi. Des cinglés de ce genre doivent être dénoncés.

Pendant toute la durée du trajet, mes pensées vont de la culpabilité à la banalisation, en passant par la haine foudroyante.