Scénariste de nombreuses émissions jeunesse (Conseils de famille, L’effet secondaire, Belle et Sébastien), Frédérick Wolfe est aussi l’auteur d’albums pour les enfants, parfois émouvants, parfois rigolos. L’album Des roches plein les poches, paru aux éditions Fonfon, lui a valu le prix Cécile-Gagnon 2017. Tara voulait jouer est son premier roman pour ados.
Comment s’est déroulée la création de ce livre ?
Avant de devenir un roman, Tara voulait jouer a existé sous forme de nouvelle. C’était l’histoire très concentrée d’une préparation d’audition qui me permettait de mettre en scène un personnage manipulateur du milieu théâtral. L’histoire gagnait à aller plus loin pour y intégrer le crescendo d’une relation abusive et tout son côté sournois, en prenant le temps de faire vivre le flou nécessaire.
J’avais en moi des témoignages d’amies décrivant des situations inconfortables avec des coachs et des professeurs de théâtre. J’ai aussi croisé des réalisateurs qui jouaient de leur ascendant sur les comédiens. C’est pourquoi j’ai choisi cette trame de fond pour le récit. Le défi d’écriture pour moi était de créer un personnage manipulateur suffisamment crédible et ambigu, loin d’un monstre caricatural, pour que le lecteur ne sache pas toujours, comme Tara, si l’on est dans les exigences d’un métier qui demande un grand laisser-aller et de dépasser ses limites, ou dans l’abus pur et simple.
Tara voulait jouer étant mon premier roman, j’ai pu participer au programme de parrainage de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ). On m’a jumelé à l’autrice Sylvie Desrosiers, qui m’a aidé à consolider le personnage de Tara et à aller plus loin, dans certains chapitres où je m’étais peut-être protégé, dans l’écriture parfois inconfortable. Le manuscrit a gagné en humanité et en vérité.
Que souhaitez-vous que les lecteurs retiennent de votre livre ?
En choisissant d’écrire un récit destiné aux ados, je voulais leur offrir une expérience littéraire qui pouvait leur servir dans leur réalité. Leur faire rencontrer un personnage abusif et manipulateur et leur faire ressentir l’inconfort, dans l’univers structuré d’une œuvre. Que des lumières rouges s’allument devant certaines paroles ou certains comportements dans le monde réel et qu’ils puissent faire confiance à leur instinct. Des Simon, il en existe dans plein d’autres milieux.
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Un extrait de Tara voulait jouer
Il me tire contre lui pour m’entourer de ses bras et fait semblant de me frotter la tête avec ses jointures, comme les papas le font parfois avec leurs petits. Puis, il me serre plus fort. Je préférerais qu’il se recule. Il ne me fait pas mal, son geste n’a rien de méchant, au contraire. C’est doux et c’est ça qui me rend un peu mal à l’aise. Comme s’il écoutait mes pensées, il me relâche d’un coup et recule de deux mètres.
— OK ! On a beau être samedi, on clenche. On a déjà bien assez niaisé.
Je reprends mon texte, il m’arrête. Doucement, cette fois. Il n’est plus dans le reproche.
— As-tu remarqué que tu te dandines un peu ?
— Non.
— Faut que tu te plantes dans le sol pour sortir ton texte. Quand je parle de présence, d’ancrage, c’est ça ! Roxane est sur son balcon, pas en train de danser le rigodon.
— Que je me plante dans le sol ?
Je ne vois pas. Il se redresse et donne un coup de pied au sol, comme s’il enfilait des skis.
— Oui. Regarde. Un pied, slack ! L’autre pied, slack ! Groundé ! Slack-slack. On bouge plus, fixé au sol. Vieux truc. Vas-y, plante-toi.
Je tente de reproduire son plantage exagéré. Slack-slack ! Il n’est pas satisfait. Il se met à genoux derrière moi et prend d’une main le devant de la cheville et de l’autre, le mollet, pour me montrer comment faire.
— Un pied… slack ! L’autre pied… slack ! Tu sens que tu es rentrée dans la terre ?
— Ouain.
Il garde ma jambe entre ses mains un instant. Puis, en m’expliquant ce que je dois ressentir, il fait glisser le bout de ses doigts tout le long de mon corps, m’effleurant à peine.
— Là, l’énergie vient du sol, d’en bas. Et ça monte, tout le long de ton corps. Tes jambes, ta colonne, ton cou et ta voix qui sort sa réplique, bien ancrée.
Sa main s’arrête à ma nuque. J’ai un énorme frisson qui reprend exactement le chemin tracé par ses doigts. Une chaleur qui monte.
— Tu la sens, l’énergie ?
— My God, oui !
— Vas-y ! À toi de jouer.
Il fait deux pas en arrière pour me regarder.
— T’es vraiment belle… groundée comme ça.
— Euh… On était où ?
— Je te remontre ? Elle part d’en bas…
Il se rapproche. Je fais deux pas en arrière à mon tour. Je préfère qu’on se garde une petite gêne.
— Je suis chatouilleuse.
— S’cuse-moi, je savais pas. Je me tiens loin alors. Reprends juste du début bien groundée.
Il a compris. Tout est OK. Je retrouve mon souffle et cherche mes mots.