Ce qui se cache derrière Toots fait la Shiva, avenue Minto

Le roman Toots fait la Shiva, avenue Minto, traduit par Colette St-Hilaire, est en lice pour les Prix littéraires du Gouverneur général 2021 dans la catégorie Traduction.

Montage L'actualité

Sociologue et politologue (M.A. et Ph. D.), Colette St-Hilaire a enseigné au cégep et à l’université pendant de nombreuses années avant de se consacrer à la traduction. Elle a également été membre du comité de rédaction de la revue Conjonctures de 2003 à 2012. À partir de 2008, elle a travaillé en étroite collaboration avec Véronique Dassas, journaliste et traductrice, également membre du comité rédaction de Conjonctures, avec qui elle a signé plusieurs traductions dans le domaine des sciences humaines. Depuis 2019, Colette St-Hilaire travaille comme recherchiste à la Fondation Jean Paul Riopelle. Elle a également collaboré à la publication du tome 5 du Catalogue raisonné de Jean Paul Riopelle, paru chez Hibou Éditeurs en 2020.

Comment s’est déroulée la traduction de ce livre ?

Sitting Shiva on Minto Avenue, by Toots est un livre qui s’est immiscé en moi à la première lecture. Nous sommes à Montréal, Toots, une écrivaine, apprend la mort de Paul, celui qui fut son amoureux à la fin des années 1970 à Vancouver. Paul, un être tendre et généreux, Paul qu’elle a quitté, Paul qui est mort, seul, dans une chambre d’hôtel du Downtown Eastside de Vancouver où il a toujours vécu et où il n’a jamais cessé de l’aimer, elle, Toots.

Le récit va se construire à travers les restos de Vancouver que Toots et Paul fréquentent, les rues qu’ils arpentent, les copains qu’ils croisent, les trains où ils travaillent. On revisite la jeunesse de Paul, originaire d’une famille ouvrière canadienne-française du sud-ouest de Montréal. Avec les virées au parc Belmont et la construction de l’autoroute Décarie, le Montréal des années 1950 et 1960 revit.

Un Montréal que j’ai bien connu, dont j’ai eu envie de parler à travers cette traduction.

C’est un récit très personnel, je me suis donc attachée à faire entendre la voix de Toots. Comme elle, j’ai fait mes recherches, de manière obsessive, car c’est dans le concret des choses que l’écriture d’Erín Moure trouve sa force dans ce récit. À travers les coquillages de l’Only, il me fallait faire sentir le Downtown Eastside de Vancouver à cette époque. Avec la Grosse femme qui rit, il me fallait faire revivre les folles années du parc Belmont.

Mais Erín Moure ne surfe pas pour autant à la surface des choses et la traduction a dû plonger avec elle dans la réflexion philosophique. En effet, le grand message de ce livre, Toots va le chercher chez Judith Butler et Giorgio Agamben : toutes les morts sont dignes d’être pleurées. C’est un livre d’amour, un livre sur l’intégrité et la dignité.

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Un extrait de Toots fait la Shiva, avenue Minto

Il y avait un restaurant dans le Chinatown où nous allions souvent manger tous les deux et où le personnel le connaissait, il commandait toutes sortes de plats que nous rapportions à la maison, nous en avions pour des jours et des jours.

De l’argent, il en donnait à tout le monde. Il allait s’asseoir avec les gens qui souffraient et avec eux il essayait d’être présent, tout simplement.

Nous sommes allés ensemble aux funérailles de Postie. Elles avaient lieu dans une petite pièce isolée et sombre du salon funéraire. Nous étions une dizaine. Je ne me souviens pas si Postie avait de la famille. Il ne travaillait déjà plus quand je l’ai connu, mais oui, il avait travaillé comme facteur pour la Société canadienne des postes.

Bœuf et brocoli ; crevettes et légumes variés ; poulet pané dans une sauce aigre-douce.

Nous allions prendre un verre au Club des Anciens Combattants sur Main Street, on l’appelait la Légion, même si à proprement parler il ne s’agissait pas d’une légion. Je finissais par boire moi aussi pour éviter qu’il vide les bouteilles et se retrouve trop saoul. Mauvais raisonnement. En fait je n’aimais pas boire de l’alcool fort. À l’Ivanhoe non plus.

Nous prenions des repas là-bas dans le petit restaurant derrière le bar, avec des nappes à carreaux.

Le petit homme apportait toujours ses chemises, ses chemises de travail et ses chemises sport, à la buanderie au coin de Main et de la 16e pour les faire laver, presser et empeser. Les chemises sport revenaient sur des cintres, sans un pli, et les chemises de travail étaient pliées à la perfection, si bien qu’elles ressemblaient à des chemises neuves lorsqu’il les portait. 

Sur un de ses avant-bras, le gauche (ou le droit ?), il avait un tatouage, un cœur rouge avec un bandeau qui disait Maman. 

Il était d’une propreté méticuleuse, faisait toujours la vaisselle, et cuisinait pour moi. Il avait des habitudes bien ancrées ; je pense qu’elles l’aidaient à tenir le coup. 

Betty m’a dit qu’il y avait un grand sac dans sa chambre avec tous les livres que j’avais publiés et toutes les lettres et les cartes postales que je lui avais envoyées.

Les œufs de punaise les avaient cependant attaqués, il a fallu tout détruire.

J’entends sa voix et je me souviens comment il signait son nom. Paul.

Il me téléphonait à chaque Noël. Cette année, il ne l’a pas fait et je n’ai pas reçu de carte.