Comment en vient-on à imposer l’image de l’étranger comme mauvais ? La philosophe allemande et ex-reporter de guerre Carolin Emcke aborde la xénophobie décomplexée et normalisée dans Contre la haine.
Son pays a accueilli plus d’un million de réfugiés syriens. Non sans heurts. Emcke a été révoltée par les images de l’autocar de Clausnitz, où des manifestants anti-immigration vilipendaient les réfugiés à bord. Terrorisés à l’idée de descendre du véhicule, les Syriens ont ensuite été sortis de force par les policiers.
« Il y a longtemps que cette haine est préparée et tolérée, justifiée et approuvée par le cœur même de la société, écrit-elle. Cela ne demande pas grand-chose, simplement une petite dévaluation constante — ou la remise en question — des droits de ceux qui de toute façon en ont le moins. » Aux yeux de beaucoup, les minorités religieuses, les homosexuels ou les femmes auraient dû faire montre d’une « satisfaction silencieuse », dit l’auteure.
L’intolérance fleurit souvent sur les incertitudes économiques, admet-elle, même si c’est parfois une affaire de perception. Parce que la haine est surtout engendrée par la manipulation et la politisation des sentiments. « Les fanatiques contemporains ont ceci de commun : ils façonnent des dogmes et des superstitions qui attisent et “justifient” la haine. »
L’un de ces dogmes, avance-t-elle, est le fétichisme de la pureté. « [Les fanatiques] ont besoin d’une doctrine pure du peuple “homogène”, d’une “vraie” religion, d’une tradition “originelle”, d’une famille “naturelle” et d’une culture “authentique”. »
La philosophe renvoie dos à dos l’idéologie des xénophobes et celle des djihadistes, qui veulent aussi faire de leurs adhérents des musulmans « purs ». « Sur le terrain de la communication, l’État islamique poursuit le même objectif stratégique que les propagandistes de la nouvelle droite : une division de la société européenne selon la logique de la différence. »
Comment lutter contre la haine ? L’auteure appelle à la célébration de l’impureté et de la différenciation. « Cela suppose aussi de ne pas répondre à l’essentialisme des fanatiques par des allégations de même facture », prévient-elle, estimant qu’une société ouverte et libérale doit résister à la tentation de se fermer pour rassurer.
Citant Hannah Arendt, elle rappelle que le pluriel naît de la diversité des particules individuelles. Que l’État laïque n’est pas un État athée ; il renferme d’emblée une diversité religieuse, culturelle et sexuelle. Et qu’en conséquence les pratiques de l’autre n’ont pas à être sympathiques, voire compréhensibles.
« C’est en cela aussi que consiste l’immense liberté d’une société réellement ouverte et libérale : ne pas devoir s’aimer, mais pouvoir se laisser vivre. »
« La haine a besoin de formes dans lesquelles elle peut se déverser. Les termes humiliants, les associations d’idées et les images au moyen desquels on pense et trie, les grilles de lecture qui conditionnent jugements et catégories doivent être façonnés au préalable. La haine n’éclate pas soudainement, elle est cultivée. Tous ceux qui l’interprètent comme spontanée ou individuelle contribuent involontairement à ce qu’elle continue à être nourrie. »
Contre la haine : Plaidoyer pour l’impur, par Carolin Emcke, Seuil, 221 p.
Cet article a été publié dans le numéro de janvier 2018 de L’actualité.
Bonjour monsieur Cipriani.
« Contre la haine » et pour l’amour ?
Au fond c’est beaucoup de« ça » dont il s’agit. L’amour…l’antidote de la haine.
Sur le site http://www.crisco.unicaen.fr il est donné au mot « haine » 46 différents synonymes et 20 antonymes alors que pour le mot « amour » j’y ai vu 95 synonymes et 20 antonymes. J’en déduis que l’amour, en soi est un si vaste monde.
La haine m’est marque de pauvretés, de faiblesses. Un être humain, bien dans sa peau, ne fait pas de la haine une de ses façons de vivre, de se vivre.
Faire appel à la haine est un choix tout comme faire appel à l’amour.
Oui, je suis libre d’haïr comme je le suis d’aimer.
C’est sans prétention que je me suis exprimé. Je suis pour l’amour.
Mes respects,
Gaston Bourdages,
Auteur.
Il est important de se souvenir que la haine généralisée remonte à loin dans le temps et les religions, malgré leurs messages de paix, ont souvent contribué énormément à l’intolérance de l’autre. On n’a qu’à penser aux croisades et à l’inquisition pour les chrétiens et au djihad pour les musulmans. C’est devenu gravé dans les cerveaux d’un grand nombre de générations depuis des siècles. Il n’est pas facile de sortir de ce genre d’ornières.
Ensuite, l’ignorance joue un grand rôle et le fait de ne pas connaître « l’autre » peut le déshumaniser et les stéréotypes fleurissent sans vergogne. Mais ce n’est pas tout: il y a aussi des gens très éduqués qui se laissent influencer par la propagande de certains groupes, soit par intérêt, soit par négligence. On peut aussi penser aux intolérances des troupes de Trump aux ÉU et à leur radicalisation avec les années. Cela ressemble énormément à l’émergence du fascisme dans les années 1930; les gens étaient séduits par une forme de propagande qui les valorisait, qui répétait ad nauseam qu’ils étaient défavorisés par un ou plusieurs autres groupes mais qu’ils avaient le pouvoir d’être les « premiers » (America First). Même l’image de Trump laisse songeur: la ressemblance entre lui et Mussolini quand il fait un discours est remarquable! Ne pas dénoncer ces excès est aussi néfaste que d’y croire car l’avenir est loin d’être rose si ce genre de discours prend le dessus.
L’homme est encore considéré comme un animal social. Et il l’est! Peu importe ce qu’en disent les philosophes et les idéalistes de toutes sortes. Qu’ont en commun les animaux sociaux? Ils sont ségrégationnistes et n’aiment pas les autres « tribus ». Nous avons donc un fort penchant génétique qui nous mène à favoriser notre groupe social au détriment des autres.
Dans l’histoire humaine, avez-vous bien des exemples de migrations massives qui se passent bien? La plupart du temps, si ce n’est pas tout le temps, elles sont sources de conflits. Ma conclusion: il faut éviter ces migrations massives.
L’une des solutions est de limiter l’accroissement des populations au plus sacrant. Plus elles augmentent, plus il y a de compétition pour les ressources. On a lié la guerre en Syrie aux sécheresses qui ont provoqué des déplacement de population des campagnes aux villes. http://lactualite.com/monde/2017/06/26/la-planete-sue-le-terrorisme-fleurit/
Une autre solution est liée à la stabilisation des gouvernements des différents pays, pour assurer une qualité de vie supérieure aux habitants.
Mais comme nous sommes des animaux qui en veulent toujours plus, comme nous sommes attirés par un statut supérieur, avec des avantages matériels, sexuels ou spirituels, et ce au dépens des autres, nous continuerons de nous battre. Vaut-il mieux imposer la paix par la colonisation?
Possiblement! La Pax Romana n’était possible que par la domination des peuples.
Arrêtez de penser que l’homme est intelligent quand il se comporte commes tous les autres primates. Arrêtez de culpabiliser ceux qui sont ségrégationnistes, puisque c’est dans nos gènes que ce ségrégationnisme est inscrit. Essayez plutôt de comprendre le comportement humain!
Le « fétichisme de la pureté » n’est pas un phénomène très neuf en Allemagne. Dans la dogmatique chrétienne Martin Luther l’a formé, quitte à produire une schisme irréparable — qui persiste encore -, avec l’Église catholique romaine.
Étonnamment, ce fétichisme produit des œuvres admirables et sublimes. On peut penser aux opéras de Richard Wagner. Tout comme cette forme idolâtre, peut produire l’horreur et l’irréparable. Il suffit de songer aux théories « scientifiques » aryennes qui établissent l’inégalité des races, laquelle a conduit à rendre parfaitement justifiable toutes formes d’holocaustes ou d’épuration ethnique.
Il n’est pas établi selon moi que la perpétuation de telles ou telles formes abjectes de discrimination soient principalement guidées par une forme de haine instrumentalisée, ce qui de prime abord formerait la thèse de Carolin Emcke.
Il faudrait plutôt former ces manifestations dans leurs origines, cet « inconscient collectif » mis en évidence par Carl Gustav Jung dans ses travaux psychanalytiques. CG Jung qui de prime abord ne voyait pas dans l’aryanisme une quelconque forme de racisme ou de xénophobie et moins encore une idéologie guidée par la haine ; il percevait plutôt en ceci une forme d’expression humaine formée des archétypes propre de la germanité, un processus d’affirmation nécessaire à tout un peuple pour retrouver l’estime de soi.
Ce sentiment de supériorité germanique affiché par les Allemands, est encore bien présent aujourd’hui. Il n’est pas si différent des certaines idéologies islamistes qui sévissent actuellement. Certains groupes intégristes n’hésitent pas à faire quelques références à « Mein Kampf », ils affirment qu’Hitler considérait les musulmans à l’égal des aryens….
— La question qu’il faudrait se poser c’est : Comment des nations entières peuvent-elles à un moment donné s’en aller vers le chaos et toutes formes de débordements ?
Carl Gustav Jung s’est par la suite complètement dissocié de ces idéologies nationales-socialistes… mais il était trop tard ; l’irréparable fut fait.
Peut-être avait-il sous-estimé ce combat pulsionnel auquel se livre l’humanité toute entière, pourtant révélé par son ex-mentor Sigmund Freud. Ce monde dans lequel cohabitent et rivalisent sans cesse dans une sorte de danse maudite… je veux parler de cette danse incestueuse à laquelle se livrent Éros et Thanatos.
C’est en quelques sortes la perversité de l’amour qui produit toutes les formes de haines et de ressentiments ; quand la xénophobie ne doit être considérée que comme un avatar dans ce processus de métamorphose de l’être inexorablement confronté au « non être », face à cette conception incertaine de ce que pourrait être le néant.
Aussi longtemps que les humains ne sauront pas où ils vont. Ils ne sauront jamais très exactement ce qu’ils font et pourquoi ils le font. À toutes les formes de perfidies, ils s’adonneront.