Changer les règles du jeu… ou les contourner ?

Pour le vice-président du Comité permanent du patrimoine canadien, Pierre Nantel, Ottawa vient de donner le contrôle des politiques culturelles du Québec aux sièges sociaux de la Californie.

Photo: La Presse canadienne/Adrian Wyld

J’ai travaillé pendant 25 ans dans l’industrie de la musique au Québec. La crise qui menace la pérennité de notre culture et de notre distinction en tant que nation, je l’ai vue de mes propres yeux.

J’ai passé ma vie chez Audiogram, Sony Musique et au Cirque du Soleil. J’ai vu des entreprises fermer, des employés être mis à pied, des carrières d’artistes, de réalisateurs, de techniciens de son, de commis de bureau se terminer. On voit vivoter ces industries qui font rayonner la culture québécoise.

Si je prends la plume aujourd’hui, ce n’est pas à titre de député du NPD, mais en tant qu’ancien travailleur de nos industries culturelles, en tant que défenseur de la culture québécoise. Et même s’il faut reconnaître que le gouvernement fédéral a longtemps servi à appuyer notre télé, notre musique et notre cinéma — par les quotas, le soutien, la règlementation et le CRTC —, force est de constater qu’aujourd’hui, alors que Netflix et YouTube remplacent la télévision, Ottawa a décidé de laisser tomber notre culture.

La proposition de la ministre Mélanie Joly — qui préfère demander des investissements à la pièce aux grandes plateformes en ligne, plutôt que de leur demander de se soumettre à nos lois et notre règlementation en matière de culture — signifie ultimement la dérèglementation à terme de la culture québécoise sur nos écrans. Ce qu’elle propose, c’est que le contrôle de nos politiques culturelles nationales ne soit plus à Québec ou à Ottawa, mais dans des sièges sociaux en Californie.

«  La réalité, c’est qu’en ce moment, on a l’impression qu’on a totalement perdu le contrôle  », écrivait justement il y a quelques jours le journaliste Gérald Fillion. « On a l’impression que les gouvernements sont dépassés par les événements, incapables de taxer tout ce qui est vendu sur Google ou Amazon, incapables de s’assurer aussi que Netflix, Google, Facebook contribuent à la production au Canada. Comment expliquer que nos politiques fiscales ne soient pas adaptées à l’économie numérique ? »

On a pourtant déjà été — au Québec et au Canada — de grands visionnaires en matière de culture. C’est notamment la vision de Pierre Juneau, président du CRTC et architecte du système de quotas toujours en place depuis 1970, qui fait que la chanson, le cinéma, la télé d’ici rayonnent dans nos haut-parleurs et nos écrans. C’est son ambition qui fait qu’aujourd’hui notre culture est visible, audible et accessible dans chaque salon.

On a aussi déjà été des champions de la culture dans le monde. C’est à l’initiative du Québec que le Canada s’est avéré le pionnier, le premier signataire de la convention de l’Unesco sur la diversité culturelle de 2007 — ce traité international qui déclare que la culture doit faire exception au libre-échange, qui vise la protection de distinctions culturelles dans le respect de la diversité, essentielle autant dans la culture que dans la nature. Qui affirme le « droit souverain des États » d’adopter « les politiques et mesures qu’ils jugent appropriées pour la protection et la promotion des expressions culturelles sur leur territoire ». Récemment, le gouvernement canadien se réengageait — lors d’une visite de la ministre Mélanie Joly au siège parisien de l’Unesco — pour la diversité culturelle.

Mais l’exception culturelle dans les traités de libre-échange, tout comme notre système de quotas et de financement de la culture, ne vaudra strictement rien tant que des plateformes audiovisuelles en ligne — des plateformes de musique en continu comme Spotify, ou des chaînes de télé en ligne comme Netflix — se poseront au-dessus des lois, des règlements et des traités, pendant que notre gouvernement ferme l’œil.

L’infrastructure règlementaire mise en place par nos parents et nos grands-parents pour assurer notre souveraineté sur les ondes hertziennes vit une dérèglementation par l’obsolescence. Ce qui a été pensé à Ottawa il y a 50 ans pour protéger et faire rayonner notre culture doit être adapté, réparé, rénové et révisé.

Alors que les créateurs partout sur la planète craignent le rouleau compresseur des géants du Web, nos industries culturelles se sont rassemblées dans une vaste coalition pour réclamer les changements vitaux aux politiques fédérales que nécessite la gravité de la situation actuelle. La continuité, l’équité et le soutien sont au cœur de leur demande. Le gouvernement du Québec — par le soutien éloquent du ministre de la Culture — a aussi demandé à Ottawa d’agir pour préserver notre espace culturel médiatique.

Le gouvernement doit rendre les règles du jeu équitables en forçant les géants du Web à fournir leur part d’efforts, plutôt que de donner — comme il le fait actuellement — un avantage commercial aux entreprises étrangères aux dépens des entreprises d’ici. Autant la ministre du Patrimoine que le premier ministre ont le devoir d’être à l’écoute des industries culturelles et des demandes du Québec en ce sens.

Partout dans le monde, on se heurte à la même urgence de trouver de nouveaux moyens de défendre les distinctions culturelles. Et partout dans le monde, on ne manque pas d’idées et d’ambition pour protéger, faire rayonner la culture, et assurer que tous les diffuseurs autant traditionnels que numériques fonctionnent sur un pied d’égalité.

Parmi les pays qui agissent, on compte la France et l’Allemagne, qui travaillent aujourd’hui même pour s’assurer que les grandes entreprises du numérique assument leurs obligations fiscales, et l’Angleterre, qui en 2015 a adopté une loi pour contraindre les multinationales numériques à payer leurs impôts.

De nombreux pays — dont les 28 États de l’Union européenne et la plupart des pays industrialisés, comme le Japon et l’Australie — ont déjà mis fin aux échappatoires fiscales qui continuent chez nous d’avantager les entreprises étrangères aux dépens des entreprises nationales.

On trouve aussi une volonté, particulièrement chez les pays européens, d’adopter des mesures contraignantes pour que les plateformes audiovisuelles sur le Web soient encouragées — grâce à un système de quotas semblable à ceux que nous demandons déjà de nos diffuseurs au Canada — à offrir un minimum de contenu local.

Enfin, à Ottawa, le comité parlementaire responsable des industries culturelles a étudié la question et a proposé en juin 2017 de renouveler le Fonds des médias du Canada — source essentielle de financement pour la production de la télé d’ici — en reconnaissant que la diffusion sur Internet prend une place de plus en plus grande dans nos habitudes. On pourrait imaginer qu’il en découlerait un fonds pour la diversité culturelle, véritable carburant pour le cinéma, la télé, la musique au Québec sur toutes les plateformes, voire pour le journalisme. Autrement dit, plutôt que de colmater la fuite dans notre bateau qui coule, on pourrait endiguer ce nouveau débit et propulser au prochain niveau notre talent à se raconter…

Il ne manque pas d’idées pour que nos remparts culturels — ceux-là mêmes qui sont protégés par la convention sur la diversité culturelle — soient renforcés en s’appliquant aux entreprises qui diffusent la culture sur Internet. Donner des dents à la convention de l’Unesco, c’est reconnaître la réalité de la diffusion via Internet, et assurer que les acteurs du numérique assument leur responsabilité envers la santé culturelle de notre monde.

Notre culture ne serait pas ce qu’elle est actuellement si, il y a 50 ans, il n’y avait pas eu de grands visionnaires comme Camille Laurin avec la loi 101 ou Pierre Juneau au CRTC, qui a bâti notre écosystème culturel. La question est de savoir si les élus fédéraux d’aujourd’hui auront le même courage.

Il y a trois ans, celle qui est désormais ministre du Patrimoine, Mélanie Joly, publiait un livre intitulé Changer les règles du jeu. Jusqu’à maintenant, on a plutôt l’impression qu’elle invite les entreprises à contourner lesdites règles. Ce n’est pas à la hauteur des ambitions culturelles des Québécois.

Le gouvernement doit gouverner. Gouverner, ça signifie établir des règles claires et équitables pour tout le monde. Il est temps qu’Ottawa joue son rôle.

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Position des plus pertinentes. Il y a urgence d’intervenir par tous les moyens disponibles en commençant par aborder « notre » ministre du patrimoine afin d’assurer la pérennité de nos institutions culturelles. Partagez svp.

C’est pas avec Mélanie Joly qu’on va changer quoi que ce soit. C’est une politicienne donc, un être inutile enfin, utile comme porte-parole des vrais propriétaires en coulisses qui dirigent le Canada.

Bonjour.
Ma vision simpliste ??? de la situation. « Money talks » C’est le seul langage qui semble prévaloir. Je vais caricaturer la lecture que je me fais de la situation. Voici : « Je suis ou Uber, ou AirBNB, ou Netflix. Je suis un de ces génies du numérique. Les failles dans les lois de l’impôt, je les connais. J’envisage engranger des millions donc pas de taxes, pas d’impôts. Je n’ai rien à cirer du principe de « bon citoyen corporatif » Mon langage, le seul : « Money talks ». Je suis très conscient du pouvoir de l’argent. Je vois les yeux de politiciens.nes briller lorsque je leur parle de projet d’investissements. Comme je suis une formule à très grands succès, les différentes bourses en témoignent, je suis adulé. Je profite de l’admiration d’une majorité de « monde » Certains jeunes, membre s de partis politiques, nous gratifient même de cette qualification : « Économie du partage » En sourdine, derrière le rideau…nous rions et la caisse enregistreuse de son coté, chante »
Madame Joly, vraiment dommage que vous ayez succombé sous le charme des millions $$$. Quel exemple donnez-vous à celles et ceux payant des taxes et d’impôts ? Serez-vous surprise si du « p’tit monde » essaie de contourner eux aussi ? Parlez-en à votre confrère monsieur Morneau.
Le parti libéral est-il celui de la classe dominante…celle du seul « Money talks ! » ?
Avec respects pour votre personne mais avec aucun pour ce que je considère comme une passe-passe de 500 M$.
Gaston Bourdages
Auteur – Conférencier
Mon dernier ouvrage me semble de mise : « Conscience…en santé ou malade ? »

Je partage entièrement le point de vue de Monsieur Nantel. À mon avis, le gouvernement fédéral actuel est, dans bien des domaines, mené par des amateurs qui n’ont pas les compétences de base et l’expertise pour les fonctions qu’ils doivent assumer. Mélanie Joly en est un exemple flagrant. Elle ne possède pas ce qu’il faut pour défendre les dossiers culturels. On se demande ce qui a motivé cette nomination. Que dire de celui qui mène le gouvernement et qui l’a nommée à ce poste? Idem! Monsieur Trudeau est un grand parleur qui sait se mettre en valeur mais en réalité, il est assez limité à bien des égards et surtout, un bien petit faiseur.

Une marionnette qui, de plus, peine à s’exprimer dans un français compréhensible…..elle est d’une incompétence inouïe au service de ceux qui lui dictent ce qu’elle doit faire ou dire…en occurence le PM, lui-même spécialiste des phrases creuses. Ils son incapables de faire face au géant américain. Les canadiens n’ont pas d’identité selon M. Trudeau….alors facile à comprendre son manque d’intérêt à préserver sa culture.
C’est d’une très grande tristesse.

J’avais beaucoup apprécié la lecture de l’essai de Mme Joly, à l’époque. Inutile de dire qu’elle n’en a rien mis en pratique jusqu’à maintenant, à part peut-être la profusion de buzzwords très tendance et actuels.

Ce n’est pas surprenant car ce gouvernement Trudeau est à la solde des multinationales et se fout éperdument de la culture. Le gouvernement précédent avait déjà amoché la culture au Canada et Trudeau n’a rien fait pour rétablir la situation et cette « entente » avec Netflix ne fait rien pour l’améliorer. Je constate aussi que les films que Netflix présente n’ont souvent aucune version française… ça sent le colonialisme culturel à plein nez!

Cependant, il y a plus. On a beau vouloir sauver notre culture mais le public en général n’en a rien à foutre de la culture et même notre sacro-sainte société Radio-Canada a adopté le plus bas commun dénominateur avec des émissions sans culture, copiées sur la culture anglo-américaine avec des mots en plus ou moins bon français. Mais c’est ce que les gens veulent, c’est ce qui attire les commanditaires. On peut bien amener un cheval à la rivière mais on ne peut pas le forcer à boire…

Je comprend jusqu’à un certain point votre indignation mais la question que je me suis toujours posé au sujet de la culture et du public est la suivante: pourquoi devrions-nous subventionner collectivement quelque chose que nous refusons de faire individuellement?

On est pauvre quand on n’arrive pas à vendre ce que l’on produit. Je serai franc, au risque d’être politiquement incorrect. Il n’existe que deux raisons pour lesquelles un artiste vit dans la misère. La première est que son talent n’est peut-être pas en demande. La deuxième est qu’il est peut-être tout simplement dépourvu de talent. Dans un cas comme dans l’autre, le public n’est pas disposé à consacrer son argent à l’achat du produit culturel proposé. Ainsi, pourquoi y mettre l’argent du contribuable? Pourquoi l’État achèterait-il, au nom de la collectivité, ce que nous refusons d’acheter individuellement?

Voilà…et ça n’a strictement rien à voir avec la politique et le « génocide » culturel.

Madame Joly prouve, avec sa “solution Netflix”, qu’elle est bel et bien la coquille vide sans les compétences requises pour occuper son poste. Son obscur et pédant verbiage est tout à fait représentatif de ce qui exaspère les citoyens chez les politiques.

Les taxes devraient être abolies sur tout le commerce électronique. Comme ça, tous seraient égaux et l’État aurait ainsi moins de notre argent à gaspiller.

Quand ça goûte, que ça sent, que ça ressemble à … c’est que c’en est. Dans le cas qui nous occupe, Trudeau ne croit pas qu’il existe une culture au Canada, vu son éducation, c’est normal. Mais ça ressemble de plus en plus à des politiques harpeuriennes ce qu’il applique. Ce libéral est un conservateur déguisé. C’est Harpeur qui doit rire, il n’a rien à faire et ses politiques sont appliquées par le gouvernement canadien. Étrange lobotomie, flashe à gauche, tourne à droite…

Tout ce débat soulève la question fondamentale: qu’est-ce la culture? ou plus pratiquement, qu’est-ce ma culture? Est-ce que ma culture doit se définir par un code postal? Je dois m’exiler sur une île déserte et on me donne le droit d’amener un album de musique. J’amène Céline Dion ou Radiohead? Blade Runner 2049 est-il un film américain ou le film de Denis Villeneuve? Peut-on mettre des quotas sur les goûts des gens? Cela ne signifie pas que l’État n’a pas de rôle à jouer dans la culture, mais je crois qu’il doit changer l’équation: il faut arrêter de soutenir la production en se disant que plus on produit, plus les gens vont en demander. Il faut soutenir la demande. Il faut aider les gens à développer les clés qui les aideront à apprécier une pièce de théâtre, une peinture, de la poésie. Pour l’instant, le débat sur la culture ressemble plus à un groupe qui veut sauver leur job et non défendre la culture.