
Parmi les souvenirs d’une enfance plutôt normale, que Ouellet nous livre pêle-mêle, on cherche en vain l’élément déclencheur d’une carrière criminelle entamée à 13 ans, et qui l’a mené du centre de rééducation de Boscoville aux pénitenciers à sécurité maximale et supermaximale. On s’étonne plutôt de trouver derrière les barreaux un homme aussi sensible, philosophe et cultivé. Il faut dire qu’en 40 ans de bagne Pierre Ouellet a eu le temps de fréquenter les bibliothèques : il peut citer aussi bien Wittgenstein qu’Hélène Dorion ou Paul Auster.
D’ailleurs, il est trop modeste quand il se traite d’« écrivassier ». Sa plume est précise, engageante et, quand il parle des femmes (qu’il a peu côtoyées), d’une tendresse trop humaine. Les passages les plus convaincants sont ceux où, par le récit prenant de ses nombreuses récidives, il se retrouve face à lui-même et analyse les notions de culpabilité et de réinsertion. À 63 ans, il assure n’avoir d’autre ambition que de réussir sa vieillesse. Et pourtant… En novembre dernier, quelque temps après avoir écrit ces lignes de son livre, il s’évadait d’une maison de transition et était de nouveau arrêté pour avoir perpétré deux vols qualifiés.
En lisant le dernier roman d’Émilie Andrewes, on comprend que les personnalités délinquantes peuvent percevoir aussi la vérité comme une prison, dont elles tentent sans cesse de s’échapper. La narratrice de Conspiration autour d’une chanson d’amour, qui a été condamnée à trois mois de détention pour contrebande de cigarettes, refuse d’admettre que son mariage à un trafiquant de téléviseurs n’a jamais été célébré, parce que ce dernier a été arrêté au pied de l’autel. Elle entretient avec soin le mythe de son état civil face à ses codétenues, à ses gardiens et surtout à elle-même, au prix de ne plus pouvoir écrire. Car elle est aussi l’auteure d’un roman sur la mort de son frère — qui constitue, soit dit en passant, son plus grand mensonge.
La vérité, elle s’y heurtera à sa libération, quand elle pourra enfin aller retrouver son fiancé en Grèce, sur l’île de Cythère. Mais ce ne sera que pour s’embarquer dans un autre cercle de duperie, qu’elle devra boire jusqu’à la lie. Un roman formidable, par une jeune auteure lumineuse qui ne finit pas de nous étonner.
Barbelés, par Pierre Ouellet, Sémaphore, 340 p., 26,95 $.
Conspiration autour d’une chanson d’amour, par Émilie Andrewes, XYZ, 144 p., 21,95 $.
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Thriller ésotérique
Le jour où Pierre Moreau décide de se marier, il déclenche à son insu la reprise des hostilités entre deux sociétés secrètes qui, depuis des siècles, sont engagées dans une lutte sans merci. L’enjeu : un document qui pourrait détruire les fondations mêmes de la chrétienté. Dans Vengeance, premier tome de la série Le glaive de Dieu, l’historien et muséologue Hervé Gagnon nous ouvre les portes des loges maçonniques de Montréal en 1886 et, à coups de rebondissements étourdissants, nous initie au mystère des pages que l’on tourne très, très vite. (Hurtubise, 448 p., 27,95 $)
Florilège ludique
C’est une œuvre irrésistible, qui traverse le miroir de l’imaginaire et nous montre les banalités du quotidien, parées de chatoiements extraordinaires. Un recueil de 11 histoires accordant une attention obsessive aux moindres détails et mêlant sans effort métaphysique, conseils littéraires, problèmes de maths et leçons d’anatomie. Abondamment illustrée de gravures anciennes imprimées en bichromie, l’Encyclopédie du monde visible, de Diane Schoemperlen, mérite de surcroît le prix du plus beau livre de l’année. (Alto, 288 p., 29,95 $)