Des trésors menacés à Miami Beach

Des militants se battent pour protéger le patrimoine Art déco de la plus célèbre des stations balnéaires de Floride.

Dans les années 1980, de nombreux bâtiments Art déco délabrés risquaient d’être rasés. Ils ont plutôt été rénovés et South Beach est aujourd’hui inscrit au Registre national des lieux historiques des États-Unis. (Photo: Alamy stock photo)

C’est une rue résidentielle de Miami Beach, avec ses maisons élégantes alignées sous les pins et bordées de jardins tropicaux, dont la quiétude est seulement troublée par le bruit des tondeuses à gazon et les cris des enfants dans les piscines. Parmi ces demeures d’exception, certaines ont été construites dans le style Art déco par les mêmes architectes qui ont édifié, à quel­ques kilomètres de là, le quartier de South Beach, aujour­d’hui inscrit au Registre national des lieux historiques des États-Unis.

Une rue tranquille ? Plus depuis quelques mois. L’historien Daniel Ciraldo, membre de la Miami Design Preservation League (ligue de préservation du design à Miami), arrête sa voiture près d’un mur de béton dressé devant un bâtiment blanc aussi imposant qu’un hôtel. «On a rasé ici une maison des années 1920 pour laisser place à ce que nous appelons un McMansion, par allusion au côté standardisé et industrialisé de McDonald’s», murmure le jeune homme de 32 ans en gardant un œil sur le portail au cas où le propriétaire surgirait. «Ce sont des maisons énormes, démesurées pour le quartier, généralement des cubes en béton avec baies vitrées qui occupent tout l’espace. Il n’y a plus de jardin qui donne sur la rue… Regardez, celle-ci a plutôt un terrain de basket sur son patio. Sûrement pour la vendre à une star de l’équipe des Miami Heat.»


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La façade Art déco de l’hôtel Breakwater. (Photo: Alamy Stock Photo)

La station balnéaire la plus courue de Floride n’est pas encore une zone de conflits, mais la tension peut se lire sur les petites pancartes plantées en bord de rue : «Sauvons nos maisons historiques !» ou, au con­traire, «Laissez-nous détruire !»

«Certains propriétaires cèdent à la tentation et vendent leur propriété, commente Daniel Ciraldo. D’autres ne veulent pas voir leur quartier défiguré.» C’est le cas de Tania Bhatt, qui habite dans une villa de style méditerranéen, rare rescapée de l’ouragan qui a balayé la Floride en 1926. «Lorsque j’ai mis ma maison en vente après mon divorce, j’ai reçu en moins de 24 heures une offre d’un million de dollars en liquide. Le promoteur n’est pas venu voir la maison, il ne m’a pas téléphoné… Il voulait seulement ce terrain qui allait lui permettre de bâtir une énorme boîte à chaussures de trois ou quatre millions de dollars.»

Déjà trois McMansions ont poussé dans sa rue. «Les nouveaux propriétaires sont de New York, Chicago ou São Paulo, et ils ne viennent que quelques semaines par an…, poursuit Tania Bhatt. Avec ces vieilles maisons, c’est aussi toute notre vie communautaire qui disparaît.»

Cette situation, présente dans tout Miami Beach, est celle d’une guérilla urbaine alimentée par la spéculation immobilière. En 2015, 39 maisons anciennes ont été détruites sur son territoire, contre 3 ou 4 au début de la décennie. Le maire de la ville, au grand dam d’une partie de la population, veut suivre l’exem­ple de Monaco, avec ses tours pour milliardaires pressées les unes contre les autres au bord de la Méditerranée. «Les mem­bres de la ligue de préserva­tion tentent de contenir cette spéculation en participant aux boards, les conseils qui se prononcent sur les nouveaux projets immobiliers, mais on n’a pas le pouvoir d’empêcher une démolition, regrette Daniel Ciraldo. Certains élus ne comprennent pas l’intérêt de conserver ces maisons familiales, alors qu’elles peuvent être rem­placées par des McMansions qui rapportent plus d’impôts fonciers… On nous traite même de communistes !»

L’hôtel Waldorf est situé dans le quartier South Beach. (Photo: Alamy Stock Photo)

C’est pourtant ce combat pour la préservation du patrimoine architectural qui a fait le suc­cès de Miami et de sa plage. Devant les locaux de la ligue, sur Ocean Drive, des groupes de touristes s’apprêtent à faire une visite guidée du secteur Art déco de South Beach. Les façades des hôtels Breakwater, Colony, Cavalier ou des Waldorf Towers, avec leurs formes géométriques évoquant la révolution industrielle ou encore leurs courbes rappelant celles d’un paquebot, sont devenues de véritables emblèmes. Elles témoignent aussi d’une page glorieuse de l’histoire américaine, le New Deal du président Roosevelt, quand les prolétaires de Détroit ou de Chicago prenaient le train pour passer leurs vacances payées au soleil de Floride.

«C’est difficile à imaginer aujourd’hui, mais sans la ligue de préservation, ce quartier aurait disparu, raconte Clotilde Luce, une volontaire passionnée d’architecture. Dans les années 1980, l’immobilier était au plus bas, ces bâtiments étaient délabrés, squattés par des toxicomanes — vous n’avez qu’à revoir la série Miami Vice —, et les promoteurs étaient prêts à tout raser.» Un désastre évité grâce à Barbara Capitman, fondatrice de la ligue en 1976, qui a compris toute l’importance de ce patrimoine… la plus grande concentration d’immeubles Art déco au monde. «Au début, elle est allée jusqu’à se coucher devant les bulldozers, ajoute Clotilde Luce, mais elle a fini par convaincre la population, puis les politiques.»

Depuis, la ligue continue son combat, même s’il ne se déroule plus sur les chantiers de construction. Daniel Ciraldo, qui a lancé une jeune entre­prise Internet en Californie avant de revenir dans la ville où il a grandi, est représentatif de cette nouvelle génération d’activistes. «Voici notre inventaire, que tout le monde peut consul­ter sur notre site (mdpl.org), explique-t-il en ouvrant une page sur son ordinateur. Avec l’aide d’étudiants, nous avons répertorié tous les immeubles historiques. C’est une base de données qui nous permet d’intervenir au plus vite dès qu’ils sont menacés.»

La façade de l’hôtel Colony illumine l’Ocean Drive. (Photo: Alamy Stock Photo)

Aux murs des bureaux de la ligue sont affichées des images spectaculaires prises par des drones pour surveiller les chantiers des maisons qui font l’objet de travaux, et les décisions des boards, par lesquels passent tous les nouveaux projets de cons­truction. «Nous avons imposé un nouveau design à la boutique Apple de Lincoln Road, ainsi qu’à celle de Nike. Malheureusement, nous n’avons pas pu empêcher la construction d’un magasin de vêtements à côté de la plus vieille église de la ville… Les pressions sont énormes.»

Comme à l’époque de Barbara Capitman, dans la deuxième moitié des années 1970, l’enjeu est de démontrer qu’un immeuble ancien, rénové, peut rapporter autant d’argent qu’une anonyme boîte à chaussures… ou qu’un McMansion. C’est là toute la démarche de Michael Raines, promoteur immobilier qui a croisé le chemin de Daniel Ciraldo.

L’homme d’affaires vient d’acquérir pour 1,4 million de dollars une magnifique maison à la façade en triptyque. «Comme je siège au board qui examine la situation des maisons construites avant 1942, j’avais son dossier de démolition en main quand j’ai découvert, dans une revue d’architecture des années 1930 que m’avait envoyée un chercheur de Chicago, qu’il s’agissait d’un des premiers exemples de maison individuelle Art déco», se félicite Daniel Ciraldo. À l’intérieur, une magnifique salle de réception s’élance sur les deux étages, ponctuée par un escalier en spirale et des luminaires évoquant les gratte-ciels new-yorkais.

Plans à la main, Michael Raines dessine déjà l’avenir de cette propriété d’exception. «Nous n’allons pas modifier la façade ni ce salon, mais nous allons construire deux modules symétriques à l’arrière pour avoir quatre chambres et quatre salles de bains… Après la rénovation, elle sera aussi confortable qu’un McMansion», dit-il.

Un chantier pour l’amour de l’art, mais pas seulement. Il s’agit de la quatrième maison historique rénovée par Michael Raines dans la région, et elles ont toutes trouvé preneur. «Miami Beach, ce sont des stars du spectacle, des investisseurs venus du monde entier, mais aussi des collectionneurs d’art et une clientèle raffinée prête à payer le prix fort pour vivre dans des maisons qui ont une histoire, des maisons exceptionnelles… Comme celle-ci.»

La façade colorée de l’hôtel Cavalier. (Photo: Alamy Stock Photo)
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Y HOPE THE TOWN LIVE THE THING TE WAY IY IS …DONT BE FOULL SAME THE QUEBEC DOND QEEP WAT WE HAVE

Etant dans le domaine des arts, je trouve ca magnifique ces hotels, c’est colore et tres bien harmonise meme s’ils ont chacun une personalite, ils ont su se demarquer et s’imposer. Bravo. Un article super interessant a lire ce matin en prenant mon cafe.