Suggestion de lecture: La fiancée du facteur

Dans cette suite du roman Le facteur émotif, l’imposteur goûte à sa propre médecine.

La fiancée du facteur, par Denis Thériault, XYZ, 174p.
La fiancée du facteur, par Denis Thériault, XYZ, 174p.

L’avènement de la messagerie élec­tronique a certainement mené à la prolifération des fausses identités. Ainsi, on estime que 156 mil­lions de pourriels sont envoyés chaque jour par des arnaqueurs, des pirates informatiques ou des usurpateurs de marques, et qu’environ 10 % des internautes mordent à l’hameçon.

Ceux qui y voient une faille du courriel ont tendance à oublier que la correspondance traditionnelle, elle aussi, a toujours facilité la tâche aux imposteurs. Denis Thériault nous l’avait gentiment rappelé dans son roman Le facteur émotif, publié en 2005, où un certain Bilodo, facteur de son état et « voyeur postal » à ses heures, interceptait le courrier d’un professeur de littérature et espionnait ses échanges poétiques avec une enseignante guadeloupéenne. À la mort du prof, il usurpait l’identité de celui-ci en imitant son écriture, et poursuivait sa relation épistolaire avec la belle Ségolène, dont il finissait par s’éprendre éperdument — tout en redoutant de voir sa supercherie éventée.

C’est avec grand bonheur qu’on retrouve aujourd’hui le tendre Bilodo dans La fiancée du facteur, bien que notre héros soit plutôt amoché : il souffre en effet d’amné­sie après avoir été heurté par un camion. Pour la serveuse Tania, qui essaie depuis longtemps (et en vain) de conquérir le cœur du facteur, l’occasion est inespérée : elle n’hésite pas à abuser de sa confusion et lui fait croire qu’ils sont fiancés, tout en prenant garde de cacher les anciennes lettres d’amour qui risqueraient de raviver ses souvenirs. Voilà donc l’usurpateur jouet, à son tour, d’une mystification élaborée, qui ne fera que s’embrouiller quand il recouvrera la mémoire et se pointera en Guadeloupe pour retrouver une Ségolène qui, elle non plus, n’est pas exactement celle qu’elle a prétendu être par écrit.

Entre les mains de tout autre écrivain, les glissements moraux de ces imposteurs provoqueraient sans doute un léger malaise. Mais le style de Denis Thériault est si ludique, si enjoué, si délicieusement excentrique qu’on préfère ne pas s’embarrasser de scrupules pour pleinement l’apprécier — et renouer avec un auteur dont le premier roman, L’iguane, vient justement d’être réédité après avoir remporté le prix Hervé-Foulon du livre oublié.

La fiancée du facteur, par Denis Thériault, XYZ, 174 p.