
Georges Pompidou n’a jamais dévoilé qu’il était atteint du cancer et François Mitterrand a attendu 11 ans avant de le révéler. John F. Kennedy a habilement dissimulé qu’il souffrait de la maladie d’Addison et Ronald Reagan, qu’il commençait à montrer des signes d’alzheimer. Combien d’autres chefs d’État n’ont pas hésité à mettre leur santé en jeu et à mentir au sujet de leur capacité à gouverner pour s’assurer de rester en poste ?
On peut se demander si ces dirigeants étaient réellement animés par un sens du devoir et du sacrifice, ou plutôt aveuglés par leur ambition personnelle et leur soif de pouvoir. La question a inspiré à Hanne-Vibeke Holst un roman politique captivant, qui fait la chronique d’une campagne électorale au Danemark où la chef de l’opposition, Elisabeth Meyer, ressent les premiers symptômes de l’alzheimer — et se garde bien d’en informer son entourage.

Son omission risque d’avoir des conséquences d’autant plus graves que les élections législatives sont convoquées au moment où le gouvernement est en pleine crise. La mort de soldats danois en Afghanistan remet en question l’implication du pays dans la guerre au terrorisme. Les manifestations contre une série de crimes racistes tournent en émeutes violentes. Elisabeth Meyer elle-même devient la cible tant des islamistes que des suprémacistes d’extrême droite.
Certains éléments de la campagne, comme les débats télévisés, les publicités, les sondages et « l’obsession des médias pour les personnalités de premier plan », nous sont familiers. D’autres mœurs sont plus pittoresques, comme l’usage d’offrir aux électeurs une rose rouge, symbole de la social-démocratie. Scrutin proportionnel oblige, les tractations en coulisses pour forger des alliances avec d’autres partis occupent également une bonne place dans le roman, tout comme la question du sexisme en politique.
La lutte de la candidate contre sa maladie est présentée de façon aussi passionnante que les joutes contre son adversaire. Elle doit en effet trouver le moyen de compenser les trous de mémoire et les absences momentanées, de déjouer les sautes d’humeur et une paranoïa croissante à l’égard de ses plus fidèles collaborateurs. Son acharnement à camoufler ses faiblesses donne lieu à une réflexion actuelle et essentielle sur la relation des femmes avec le pouvoir.
Cet article a été publié dans le numéro de septembre 2017 de L’actualité.