
Cette hécatombe de papier avait déjà inspiré à l’auteur tchèque Bohumil Hrabal un petit chef-d’œuvre sur la déchéance du livre dans le monde moderne : Une trop bruyante solitude. Reprenant le même thème, Jean-Paul Didierlaurent a concocté un conte au charme irrésistible qui a aussi été, sans contredit, le roman de l’été : Le liseur du 6 h 27.
Alors que le héros de Hrabal tentait de sauver de la destruction des ouvrages complets, celui de Didierlaurent est plus modeste : Guylain récupère seulement une dizaine de pages par jour, dont il fait la lecture tous les matins aux passagers du train qui le mène à l’usine de pilonnage où il travaille. Difficile de trouver meilleure métaphore que ces fragments de textes récités à la sauvette, dans un lieu peu propice à la concentration, pour illustrer combien nous n’avons, ou ne prenons, plus le temps de lire de nos jours…
Le pilon, surnommé par Guylain « la Chose », a broyé la jambe d’un ouvrier et en a fait de la pâte à papier, laquelle a servi à imprimer un manuel de jardinage. L’ogresse semble aussi se mettre toute seule en marche la nuit pour charcuter les rats qui s’aventurent entre ses couteaux. Contre elle, les livres n’ont aucune chance : pages, échines et reliures sont anéanties « dans un bruit de fin du monde ».
Ce ne sont pas les pages de livres, cependant, qui transformeront la vie routinière de Guylain, mais une clé USB trouvée dans le train, contenant les confessions d’une jeune fille qui nettoie les toilettes publiques d’un centre commercial. Une façon, pour Didierlaurent, de faire valoir que le support, au fond, importe peu. Ce qui compte, c’est qu’un texte nous procure l’ivresse.
Autre signe des temps, le dernier roman d’Alessandro Baricco met en scène un écrivain à succès qui décide, du jour au lendemain, de ne plus publier de livres, simplement parce que « ce qu’il faisait chaque jour pour gagner sa vie ne lui convenait plus ». L’aiguil-lon de l’écriture, cependant, ne cesse de le tourmenter et il doit bientôt y trouver un exutoire.
Après avoir contemplé le projet de compiler un guide des 100 meilleurs endroits où laver son linge à Londres, il choisit plutôt de se consacrer à la rédaction de portraits. À l’instar d’un peintre, il loue un atelier, trouve de riches clients et les fait poser nus, dans un environnement sonore et lumineux spécialement conçu à cet effet. Il prend des notes, qu’il fixe sur le sol avec des épingles et qui lui servent ensuite à composer trois ou quatre pages — jamais plus.
Mr Gwyn marque, pour Alessandro Baricco, un grand retour à la fantaisie de Novecento et à la sensualité de Soie. Dans l’espace intime de l’atelier, le roman explore l’étrange rapport de l’artiste à son modèle tout en posant, de façon élégante et inédite, le problème d’une représentation de l’être humain qui ne soit pas réductrice.
En effet, les portraits de Jasper Gwyn ne sont pas de banales descriptions de leurs sujets. Ce sont de courtes scènes dont chaque élément — le décor, les objets, les couleurs, le ton, tous les protagonistes simultanément — est révélateur de leur âme la plus profonde, parce que « nous ne sommes pas des personnages, mais des histoires ». Même si celles-ci ne tiennent que sur quelques pages…
Le liseur du 6 h 27
Par Jean-Paul Didierlaurent
Édito
192 p., 22,95 $
Mr Gwyn
Par Alessandro Baricco
Gallimard
192 p., 33,95 $
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L’éventreur du Red Light
Et si Jack l’Éventreur avait quitté Londres pour venir s’établir à Montréal ? Voilà la question à laquelle tente de répondre le journaliste Joseph Laflamme quand une série de prostituées succombent au couteau d’un assassin qui s’inspire des meurtres sordides du célèbre tueur. Les indices, cependant, montrent du doigt l’Ordre des francs-maçons… Plus qu’un polar à vous tourner le sang, Jack est une reconstitution vivante de la métropole en 1891, doublée d’une passionnante histoire de la franc-maçonnerie au Québec.
(Jack, par Hervé Gagnon, Libre Expression, 408 p., 34,95 $)
Faucon pèlerin
Au départ, un crime parfait, commis selon les règles de l’art, qui confond les plus fins limiers. Et puis, de fil en aiguille, l’enquête débouche sur un complot terroriste qui mène Pilgrim, ancien agent spécial de la CIA recyclé en spécialiste des techniques d’investigation, jusqu’en Turquie. Fusion parfaite entre le polar et le roman d’espionnage, Je suis Pilgrim tire sur toutes les cordes de notre paranoïa post-11 septembre pour installer le suspense et, cependant, réussit à créer des personnages qui jamais ne tombent dans les ornières des stéréotypes. Un thriller idéal quand arrivent les vacances.
(Je suis Pilgrim, par Terry Hayes, JC Lattès, 656 p., 34,95 $)