Hugo Latulippe : Quand le petit écran voit grand

Le documentariste Hugo Latulippe creuse la notion d’artiste-citoyen dans Le théâtre des opérations, une série télé diffusée à ARTV à compter du 22 février.

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Photo : Stéphane Najman

À une époque où tout artiste qui se respecte est porte-parole de ceci ou de cela, où l’engagement semble être devenu un impératif promotionnel, le documentariste Hugo Latulippe creuse la notion d’artiste-citoyen dans Le théâtre des opérations, une série télé diffusée à ARTV à compter du 22 février.

La réflexion citoyenne, il connaît. Avec Bacon, le film, il enquêtait sur l’impact environnemental de l’industrie porcine. Avec Ce qu’il reste de nous, tourné clandestinement au Tibet sur une période de sept ans, lui et son équipe contribuaient à faire connaître l’isolement politique du peuple tibétain. En fait, les idéaux sociaux sont au cœur des films créés par Esperamos, la boîte de production qu’il a fondée en 2005.

Pas étonnant que la chaîne ARTV ait pensé à Hugo Latulippe pour concevoir une série sur les artistes engagés. Celui qu’on a d’abord connu grâce à La course destination monde, de Radio-Canada (il a raflé cinq des prix de l’édition 1994-1995), a dit oui d’emblée, à condition de pouvoir approfondir cette notion d’engagement. « Ce que j’ai eu envie de montrer, ce sont des artistes qui font plus que prendre la parole pour telle ou telle cause, ponctuellement, mais plutôt des artistes qui intègrent les enjeux politiques et sociaux à leur travail, et dont la création a ensuite une incidence sur leur société. »

Le premier épisode s’ouvre sur un portrait de Germaine Acogny, danseuse, chorégraphe et fondatrice de l’école de danse Toubab Dialaw, au Sénégal. Fondé en 1998, ce centre est devenu bien davantage qu’un lieu de perfec­tion­nement chorégraphique pour les danseurs d’Afrique et d’ailleurs ; Germaine Acogny, figure hautement charismatique, veille à ce qu’un trait d’union soit tracé entre les traditions ancestrales de l’Afrique et le monde de la danse contemporaine. Son objectif ? Former de bons danseurs, oui, mais plus encore des danseurs qui ont foi dans ce continent dont on a si souvent dit que les pratiques millénaires étaient aux antipodes du progrès. « Un corps ancré dans la tradition peut s’envo­ler librement », affirme-t-elle.

Profondeur de champ

Le théâtre des opérations présente en tout 24 de ces artistes-citoyens, venant d’une quinzaine de pays, dont la caricaturiste tunisienne Nadia Khiari, créatrice du populaire personnage Willis from Tunis, ce chat qui aborde par le rire les défis qui se présentent à la Tunisie post-Ben Ali, ou encore Favianna Rodriguez, une peintre d’Oakland, en Californie, qui milite, par le truchement de campagnes d’affichage audacieuses, pour une plus grande reconnaissance des droits des migrants. Dans un épisode intitulé Rêver le Québec moderne, on verra par ailleurs les metteurs en scène Dominic Champagne et Brigitte Haentjens nous dire en quoi l’art peut, selon eux, agir en profondeur sur les enjeux sociaux de notre temps.

Chaque fois, Hugo Latulippe et sa bande (les réalisateurs Michel Lam, Simon Beaulieu, Vali Fugulin, Sarah Fortin et Pierre-Étienne Lessard) ont eu le tact, et pris le temps, de faire oublier la caméra, ce qui donne au télé­spectateur l’impression d’avoir un accès privilégié à l’atelier de ces artistes. « Nous voulions les fréquenter, pas seulement les interviewer. Laisser le temps “passer sur le sujet”. En documentaire, il est toujours plus intéressant de laisser les choses arriver que de les provoquer. »

La série a quelque chose de militant en elle-même, dans son refus de trop sacrifier à l’efficacité, au glamour, à l’idée d’une réalité découpée en capsules de 30 secondes. « Oui, je milite de l’intérieur pour repousser les canons de la télé, ce qu’elle nous impose. Ce qui m’intéresse, et que devrait toujours permettre la forme du documentaire, c’est d’en arriver à ce que les intervenants cessent d’être en représentation. C’est une drogue dure, ça, l’impression qu’on touche à cette vérité. C’est pour ces moments-là que je fais ce métier, ces moments où j’oublie à quel point c’est devenu laborieux de trouver le financement nécessaire pour tourner dans des conditions optimales ! »

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C’est lui qui le dit

« Je crois dans un renouveau de la télévision. Nous allons tôt ou tard revenir à une télé de profondeur. »