La face cachée des chatons

La multiplication des images félines sur le Web témoignerait non seulement de la place majeure que le comique et le futile occupent dans nos façons de communiquer, mais aussi d’une nouvelle étape dans la démocratisation du vedettariat.

Nos fils d’actualité Facebook ne seraient pas les mêmes sans ces lointaines connaissances nous intimant régulièrement de regarder tout de suite cette vidéo drôle ou attendrissante d’un animal se livrant à une pitrerie. Vous souhaitez faire passer un message subtil à ces cousines et anciens collègues de classe doués pour la procrastination ? Envoyez-leur un lien vers le passionnant essai Trop mignon ! Mythologies du cute.

Plus qu’une simple manifestation de notre fascinante capacité à nous émouvoir d’un rien, la prolifération des vidéos de minous serait indissociable d’une série d’enjeux n’ayant, eux, rien de particulièrement mignon. « Car visionner une vidéo de chaton », écrit le professeur au Département d’histoire de l’art de l’UQAM Vincent Lavoie, « c’est tout à la fois s’adonner à un petit plaisir coupable, suspendre ses activités productives, alimenter un trafic Internet aussi intense, dit-on, que celui généré par la pornographie et émettre du CO2, par sursollicitation des serveurs de données. »

La multiplication des images félines sur le Web (sous forme de vidéos, de GIF ou de mèmes appelés « Lolcats ») témoignerait ainsi non seulement de la place majeure que le comique et le futile occupent dans nos façons de communiquer en ligne, mais aussi d’une nouvelle étape dans la démocratisation du vedettariat, qui étend aujourd’hui son empire au merveilleux monde des animaux.

Alors qu’un chat n’était jadis qu’un attachant compagnon, il est désormais un influenceur potentiel, ayant le pouvoir de recueillir des millions de clics, et de permettre à son maître d’engranger des profits par l’intermédiaire d’ententes publicitaires, de contrats de publication et d’apparitions en public.

Mais pourquoi sommes-nous à ce point grisés par ce qui est mignon ? Vincent Lavoie invoque notamment notre « bienveillance naturelle » envers des êtres présentant des caractéristiques morphologiques immatures (« l’expression d’un atavisme qui serait lié à la perpétuation de l’espèce »).

Si le chat s’est donc transformé en vache à lait pour de nombreux agrégateurs de contenus amusants (et pour les réseaux sociaux), il est aussi l’improbable cheval de Troie de certaines organisations terroristes. Prendre la pose en compagnie d’un charmant matou compte d’ailleurs, depuis le régime nazi, parmi les subterfuges de choix du tyran ou du soldat tentant de mettre en valeur son humanité.

Des membres de Daech emploient ainsi comme matériel propagandiste des photos sur lesquelles des chatons frottent leur tout petit museau contre des armes à feu. Regroupées sous le mot-clic #catsofjihad, ces images troublantes incarnent le revers le plus sombre d’un phénomène en apparence innocent, dans la mesure où elles permettent aux djihadistes d’« élargir leur aire de circulation », autrement dit de conférer à leur discours l’attrait irrésistible de toute chose mignonne. Les Lolcats n’auront jamais été aussi peu drôles.

Trop mignon ! Mythologies du cute, de Vincent Lavoie, Presses universitaires de France, 128 p.

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D’abord, comparer le trafic de vidéos de chat qui durent quelques minutes, avec la porno qui est un mystère estimé entre 20 et 60% du trafic internet mondial, faut pas exagérer!
Ensuite, le descriptif du livre : « L’auteur montre que cette fascination n’est pas un exutoire à l’horreur du monde, mais une manière d’y être encore plus enchaîné et une manifestation paradoxale des désirs de violence et de destruction. »
Comment en arrive-t-il à une telle conclusion? Faudrait lire le livre bien sûr. Étrange que l’équivalent du click-bait soit utilisé pour vendre le livre, rôle reproché aux chatons!