Arlette Cousture, avec Ces enfants d’ailleurs, démontre encore une fois son aisance à peindre les drames quotidiens des anciennes familles, où les liens du sang et les devoirs de l’Église sont autant de règles de conduite incontournables. Ainsi sont plongés dans l’horreur de la guerre les enfants de Tomasz et de Sofia, parents exemplaires d’une famille polonaise petite-bourgeoise déchirée par l’occupation nazie. Ici, les bons sont bons et les méchants, méchants. A la cruauté du monde, Jerzy, Élisabeth et Jan opposent leur foi, la musique et leur amour filial. Rescapés de la guerre, ils émigreront au Canada pour se retrouver, panser leurs plaies et tenter d’être heureux.
En décrivant un monde rassurant par les contraintes mêmes qui le structurent, Arlette Cousture ne fait pas face aux difficultés de vivre aujourd’hui, mais les révèle en creux, par défaut, dirait-on. Les atermoiements d’une femme dans la vingtaine luttant contre les tentations de la chair, auxquelles elle finira par s’abandonner « scandaleusement », dans les bras d’un homme marié, à la fin de ce premier tome, laissent présager une suite où les bons sentiments devront vaincre les mauvais. On pourrait en rire, mais tout ici est mis en oeuvre pour nous tirer les larmes des yeux. Les personnages d’Arlette Cousture gardent la tête haute, surtout s’ils sont dans la merde jusqu’au cou. C’est cette naïveté qui fait leur charme, désuet et sécurisant pour les lecteurs dont le quotidien est autrement compliqué. On peut ne pas apprécier cette thérapeutique de choc en cette époque opaque, mais ils sont assez nombreux ceux qui en vantent les vertus pour qu’on lui reconnaisse le droit d’exister.
Ce qu’on peut cependant reprocher à Arlette Cousture, ce qu’on doit lui reprocher, c’est la pauvreté de sa langue. Car ce n’est pas la pratique de l’écriture qui donne un devoir à l’auteur, mais son public. Quand bien même un livre n’aurait que 30 lecteurs, c’est l’équivalent d’une classe, devant laquelle l’auteur et l’éditeur ont statut de professeur ! Et lorsque les lecteurs se comptent par dizaines de milliers et que l’on écrit pour eux, on se doit de respecter certaines règles.
Or le roman de Cousture est truffé d’impropriétés, écrit dans un français bâclé, parfois simple jusqu’au simplisme, d’autres fois ampoulé jusqu’à l’obscurité la plus complète, qui révèle une absence de respect élémentaire pour les innombrables lecteurs qui ont droit à une langue correcte. Je dis bien : correcte. On ne demande pas la lune, ni un style sublime.
Doit-on blâmer la télévision, pour laquelle Mme Cousture, de son propre aveu, avait d’abord entrepris cet ouvrage avant de se décider pour le roman ? Peu importe. Le roman existe, il faut le lire comme tel. Le pire, c’est qu’on finit par s’habituer aux maladresses de l’auteur. Le livre est assez long pour que nos yeux apprennent à sauter les obstacles et cessent de trébucher. C’est sans doute ce que souhaitaient Arlette Cousture et son éditeur : « Bof ! Ils vont comprendre pareil… »
Ce qu’on ne comprendra jamais, par contre, ce sont les métaphores épouvantables qui défigurent le récit comme des balafres, d’autant plus repoussantes qu’elles avaient pour but, j’imagine, de l’enjoliver en le fardant. Mais jugez-en par vous-mêmes, et faites-moi savoir si vous en comprenez le sens : « Ses oreilles se firent malheureusement sourdes au silence qu’il aurait voulu leur imposer » (p. 98). Et « Vivement que cette guerre prenne fin et que tous les Schneider du monde soient à leur tour annihilés pour que tous les Polonais puissent enfin tricoter avec des pelotes formées de leurs nerfs ! » (p. 153).
Il ne s’agit pas ici de jouer au flic de la langue qui donne des coups de règle sur les doigts des contrevenants. Mais si on reconnaît à Arlette Cousture un immense talent pour créer des personnages sympathiques et émouvants, on se doit également de lui faire part de nos doléances sur la légèreté avec laquelle elle gaspille sa matière première.
Car tous les auteurs francophones, des plus obscurs aux plus connus, écrivent dans cette même langue qui les réunit. Ils en sont tous responsables devant leurs lecteurs. Ils peuvent revendiquer cette responsabilité – ou la balayer du revers de la main, peu importe. Ils en sont néanmoins responsables parce que cette langue dont ils ont fait leur passion ou leur gagne-pain ne leur appartient pas. Elle leur a seulement été prêtée. Lorsqu’ils en ont terminé avec elle, ils doivent la rendre. Avec intérêts.
Ces enfants d’ailleurs, par Arlette Cousture, Libre Expression, 600 pages, 24,95 $.