La langue de Radio Radio

De la même manière que la Révolution tranquille est indissociable de l’affirmation du parler québécois, la montée culturelle des francophones des autres provinces a un effet similaire sur la langue de chez eux.

Photo : Mamoru Kobayakawa

Avant d’ouvrir la librairie La Grande Ourse, à Moncton, Robert Melançon a étudié à l’École nationale de théâtre, à Montréal. Il était le premier Acadien à y être admis depuis Eugène Gallant, en 1964, 20 ans plus tôt. « Les étudiants québécois avaient le droit de faire ce qu’ils voulaient de la langue, mais moi, il aurait fallu que je parle en français international ! »

Aujourd’hui, la percée de Lisa LeBlanc, de Radio Radio et des Hay Babies fait découvrir aux Québécois une langue colorée et frondeuse, qui ne plaît pas à tout le monde. D’où le débat dans les pages du Devoir, en octobre 2012, sur la qualité du français de Radio Radio : « une langue inventée », selon les uns, « responsable du recul du français à Montréal », selon les autres.

« Mais si l’anglais se parle davantage à Montréal, ce n’est pas la faute d’un groupe rap acadien, se défend Gabriel Malenfant, de Radio Radio. Et le chiac n’est pas une langue inventée : mon père et mon grand-père le parlaient. » Il rappelle qu’un excès de purisme chez les enseignants étrangers, qui ne toléraient pas l’accent du cru, a failli tuer le français en Louisiane. « Notre devise, en Acadie, c’est L’union fait la force. Est-ce que tous les francophones ne devraient pas l’adopter et la mettre en application ? »

Le chiac est une variante typique du français du sud-ouest du Nouveau-Brunswick, mâtiné d’anglicismes, mais qui ne se parle pas dans le nord-est, du côté de Caraquet. De la même manière que le joual n’est pas la seule variante au Québec, le chiac n’est qu’une facette du français au Nouveau-Brunswick. Mais un des effets de l’urbanisation de la culture acadienne depuis 50 ans à Moncton est la montée en puissance du chiac et son apparition à l’écrit – comme pour le joual au Québec dans les années 1960, que Michel Tremblay a introduit avec sa pièce Les belles-sœurs, en 1968.

Les premiers poètes du chiac étaient des groupes musicaux, comme 1755 et Les Païens. Des poètes, dont Georgette Leblanc et Guy Arsenault, et l’actrice-chanteuse Marie-Jo Thério en font bon usage.

Mais la Michel Tremblay du chiac, c’est l’écrivaine France Daigle, dont le roman Pour sûr, qu’elle a mis 10 ans à écrire, a été récompensé du Prix du Gouverneur général en 2012. Cette œuvre originale, qui entremêle les définitions encyclopédiques et les dialogues en chiac, utilise même une graphie particulière pour rendre la phonétique et les tournures du chiac, par exemple « fiïle » pour feel. « Tout le livre, dit l’auteure, est une réflexion sur la langue et la norme. » Comme en témoignent ces répliques des personnages Ludmilla et Terry :

« Peux-tu me dire hõw cõme que j’ai sitant de misère à dire je vais à la place de je vas ?

– C’est à cause que ça va contre l’économie de la langue.

– Je peux pas crouère ! Finally une réponse qui fait du sens. »

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