La route du rhum

Le chroniqueur Eric Dupont a lu pour vous Une géographie populaire de la Caraïbe, par Romain Cruse, Le souverainisme de province, par Simon-Pierre Savard-Tremblay, et Figures de compassion, collectif sous la direction d’Yvon Rivard et Sarah Rocheville.

geographie

De temps à autre, un ouvrage d’une qualité exceptionnelle atterrit sur ma table de travail sans crier gare. Cette fois, l’illumination est venue d’Une géographie populaire de la Caraïbe, de Romain Cruse, géographe et professeur dans plusieurs universités de la Caraïbe ainsi que correspondant au journal Le Monde diplomatique.

Le titre annonce déjà la teneur de l’ouvrage, dans lequel il est bien sûr question des États qui forment la Caraïbe, notion géographique aux contours flous qui inclut tant Cuba et la Jamaïque que les régions continentales bordées par la mer des Caraïbes et l’océan Atlantique, comme la Colombie et le Suriname. Mais on y traite surtout des gens qui peuplent ces territoires diversifiés. Les frontières de la Caraïbe seraient définies à la fois par la géographie, l’histoire et l’organisation économique de l’ancien sous-ensemble sucrier au sein de l’Amérique des plantations.

Difficile de ne pas faire le lien entre ce titre et l’historien états-unien Howard Zinn, dont l’Histoire populaire des États-Unis a, comme Romain Cruse le reconnaît lui-même, servi de modèle à l’élaboration de son ouvrage.

Après une présentation de la géographie, du climat et des écosystèmes caribéens, l’auteur retrace l’histoire des migrations, volontaires et forcées, qui ont fait la Caraïbe. Aux autochtones de ces territoires se sont ajoutés des gens venus de partout : Afrique, Moyen-Orient, Asie et Europe. Cruse présente une analyse affinée des conditions de migration de chacun des groupes d’immigrants et de la position qu’ils occupent aujourd’hui dans divers pays de la région.

Qui vit dans la Caraïbe et de quoi vivent-ils ? Quelles sont les différentes formes de créole ? Que sont devenus les descendants des marrons, ces esclaves révoltés qui fuyaient les plantations auxquelles ils étaient littéralement enchaînés ? Quels problèmes économiques structuraux accablent ces pays ? Romain Cruse, dans une langue à la fois accessible, savante et poétique, répond de manière exhaustive à ces questions tout en nous faisant découvrir ce monde que les Canadiens visitent souvent sans trop le connaître.

Ce livre a le mérite immense de remplacer le cliché touristique du paradis tropical et les images de misère relayées par certains médias par un portrait réaliste, touchant et fidèle d’une région dont l’auteur semble avoir fouillé les moindres recoins.

Sans se faire moralisateur, il parvient, preuves à l’appui, à présenter le tourisme de masse comme l’une des nombreuses menaces qui planent tant sur les fragiles écosystèmes des îles que sur leur structure sociale et culturelle. Romain Cruse ne néglige d’ailleurs jamais la culture locale et se plaît à citer romanciers et musiciens en tête de chapitre ou au sein d’une analyse savante de la culture des peuples de la Caraïbe.

Ce tour de force d’érudition et de vulgarisation devrait servir de référence à quiconque s’intéresse à cette région du monde et aux peuples qui l’habitent.

Une géographie populaire de la Caraïbe
par Romain Cruse
Mémoire d’encrier
592 pages, 39,95 $

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souverainisme

À trop vouloir plaire

Collaborateur à L’Action nationale, Simon-Pierre Savard-Tremblay est président et fondateur de Génération nationale, un organisme voué à la réflexion sur le modèle de l’État-nation. Dans Le souverainisme de province, il tente d’expliquer comment le projet de souveraineté, présenté à la fin des années 1960 comme épilogue logique à la Révolution tranquille, a été dilué, avachi et transformé pour des considérations électorales. « La campagne électorale de 1973 fut la dernière que le PQ a consacrée à la mise de l’avant d’un programme d’action souverainiste et où il a formulé des engagements clairs en faveur de l’indépendance », déplore l’auteur. Au mouvement indépendantiste, qu’il accuse d’incohérence, il suggère de peaufiner sa stratégie et d’être plus clair dans ses intentions. Il ne souhaite ni plus ni moins qu’une nouvelle Révolution tranquille pour sortir le débat du provincialisme dans lequel il s’est enlisé.

(Le souverainisme de province, par Simon-Pierre Savard-Tremblay, Boréal, 230 pages, 24,95 $)

figures-compassion

Le souci de l’autre

Écrire sur la compassion amène à descendre jusqu’aux fondements de l’être humain. C’est ce que font 11 auteurs, dont Bernard Émond, sous la forme de nouvelles, de témoignages ou d’essais dans ce recueil très inspirant dirigé par Yvon Rivard, professeur de littérature à la retraite, et Sarah Rocheville, professeure à l’Université de Sherbrooke. « Figures de compassion nous invite à circuler entre des œuvres […] qui nous rappellent, d’une façon ou d’une autre, ce qui a sauvé Primo Levi, à savoir qu’il suffit parfois d’un geste ou d’une parole pour nous redonner notre humanité. »

(Figures de compassion, collectif sous la direction d’Yvon Rivard et Sarah Rocheville, Leméac, 160 pages, 15,95 $)