D’une page à l’autre, un monde à lire avec notre chroniqueuse Martine Desjardins.

Le photoroman nouveau
Le roman-photo, qui s’est longtemps limité aux bluettes sentimentales, suscite un nouvel intérêt de la part d’auteurs qui s’amusent à le dépoussiérer, comme Martin Villeneuve l’a fait dans Mars et Avril (La Pastèque). C’est au tour du dramaturge Guillaume Corbeil de s’y attaquer, en pastichant un film policier de série B. Pendant que le magnat d’un empire médiatique s’apprête à devenir premier ministre, une photographe et un acteur contrecarrent un complot impliquant des négatifs, une encyclopédie des chats et une voiture en feu. Un plaisir qu’on ne voudra pas bouder.

L’envers de la médaille
La guerre. Il est aussi facile de s’y enliser qu’il est difficile d’en sortir. Avant de brandir le mot dans leurs discours, les faucons de ce monde feraient bien de lire le récit de Frédérick Lavoie sur les troubles en Ukraine. Il y a un an, ce jeune journaliste indépendant s’est rendu dans le Donbass et a rencontré l’«ennemi»: de simples civils russophones qui ne s’expliquent pas comment leur pays paisible est devenu zone de combat, et qui se radicalisent quand les bombes tuent leurs enfants. De la genèse du conflit, Frédérick Lavoie tire une mise en garde lucide et sans équivoque contre la tendance affligeante des dirigeants à jeter de la haine sur le feu au détriment des innocents.

Montagnes russes
Dès le moment où Ivan Zolotov entre dans le Musée des montagnes russes et se remémore sa propre expérience d’un accident de manège à neuf ans, le lecteur sait qu’il n’a qu’à bien se tenir: il va vivre des émotions fortes. Entre le traumatisme d’un cataplasme de moutarde et la rencontre du cosmonaute Youri Gagarine, l’exposition d’une toile invisible et un voyage avec le dresseur d’oiseaux du Cirque volant, le premier roman de Yann Fortier monte à des hauteurs vertigineuses et redescend à toute vitesse, sans jamais laisser de répit. On en reste échevelé, étourdi, grisé.

Marie Curie, l’idole tombée
Une célébrité adulée par les foules, couverte des plus grands honneurs internationaux, poursuivie nuit et jour par une meute de journalistes: voilà la stature populaire qu’avait Marie Curie après la mort de son mari. Quatre ans plus tard, elle sera conspuée, diffamée par la presse parisienne, traînée en justice… à cause d’une malheureuse aventure avec un homme marié. En traçant le portrait d’une communauté scientifique en pleine ébullition et d’une société aussi misogyne que xénophobe, Irène Frain raconte avec empathie cet épisode tumultueux de la vie de la géniale physicienne et chimiste polonaise, et révèle une facette vulnérable et fort représentative de son caractère indomptable.

Vie de bourreau
La justice n’était pas tendre en Nouvelle-France pour les voleurs, les faussaires, les empoisonneurs et les meurtriers: aveux extraits sous la torture, poings et jarrets coupés, mise au carcan, supplice de la roue, pendaison, bûcher… Pour accomplir ce sale boulot et se retrouver hautement ostracisé du fait de cette fonction, aucun colon ne se portait jamais volontaire et on devait importer des esclaves des colonies antillaises qui, en échange de leur liberté, devenaient bourreaux. Le journaliste franco-ivoirien Serge Bilé relate le destin de l’un d’eux: Mathieu Léveillé, qui vivra dans la négligence et mourra dans la solitude. Une page particulièrement poignante de notre petite histoire.

Albums-souvenirs du métier de commerçant
Voilà déjà 20 ans que la collection «Aux limites de la mémoire» fouille dans le vaste fonds d’archives de notre patrimoine et regroupe les photos anciennes sous des thématiques aussi diverses que la vie rurale, la navigation sur le fleuve, la cuisine, l’aventure de l’électricité, la mode, les catastrophes naturelles, les Amérindiens, les jardins oubliés… Chaque album est un véritable cours d’histoire visuel, un panorama des lieux et des modes de vie disparus, une fenêtre ouverte sur les mœurs d’une autre époque.
Pour célébrer cet anniversaire, la collection lançait récemment son 24e titre — un autre document d’une richesse inestimable, consacré au métier de commerçant. De la rue principale aux grandes artères commerciales, des roulottes ambulantes au magasin général, des marchés publics aux chaînes d’alimentation, des bootleggers à la Commission des liqueurs, des grands magasins aux centres commerciaux, c’est tout le développement de l’architecture commerciale, de l’urbanisation et de l’industrialisation du Québec qui se dévoile en arrière-plan. Une bouffée de nostalgie pittoresque à l’heure du magasinage en ligne.
L’envers du décor est vraiment à découvrir, autant par le récit que pour l’esthétique des images.