Fanny Britt, écrivaine à tout faire

L’auteure a réussi un exploit peu commun : bâtir une œuvre au style distinct, en empruntant presque toutes les voies possibles de l’écriture. 

Photo : Maude Chauvin

Dans son CV, on trouve une douzaine de pièces de théâtre (dont Bienveillance, Prix du Gouverneur général en 2013), des livres jeunesse, deux romans graphiques, deux collaborations à titre de scénariste pour des séries télé (Tactik et Nouvelle adresse), une trentaine de traductions, un roman (Les maisons) et deux essais, dont Les retranchées, qui paraît ce mois-ci aux éditions Atelier 10. Un butinage assumé pour cette créatrice qui brille partout où sa plume se pose.

Où écrivez-vous ?

J’écris surtout chez moi, mais quand je veux fuir la solitude parfois paralysante de l’écriture — et le rappel constant des tâches domestiques laissées en plan ! —, je vais écrire dans des cafés. Je suis perpétuellement à la recherche du parfait équilibre entre la marche pour s’y rendre, la tranquillité une fois sur place et la bonne bouffe pour nourrir la machine.

Comment décririez-vous votre démarche artistique ?

Cette expression me tétanise. J’aspire avant tout à traduire ce que je perçois du monde qui m’entoure avec le plus de vérité possible, ce qui pour moi doit passer par un regard à la fois critique, lucide et empathique sur les comportements humains. Est-ce une démarche ?

Votre création littéraire prend plusieurs formes différentes. Hasard ou besoin profond ?

Je pense que c’est un besoin. Ça garde le désir d’écrire plus vif, peut-être. Mais passer d’une forme à l’autre appartient aussi parfois au récit lui-même : Jane, le renard & moi appelait une forme illustrée, tout comme Les maisons se présentait comme un roman et Bienveillance comme une pièce. La forme parle du fond, toujours.

Écrire un livre, une pièce de théâtre ou un scénario télé, est-ce le même travail ?

Les contraintes fondamentales sont les mêmes : il faut s’asseoir et faire le travail. Mais chaque forme a également son rythme propre. Avec le roman graphique, par exemple, il y a le fait de savoir qu’une grande part de l’œuvre ne sera révélée que plus tard, et que je n’ai pas, ou très peu, d’emprise là-dessus. C’est grisant. Pour le roman ou l’essai, le poids à porter est plus lourd, solitaire — mais j’ai l’autorité absolue sur le sort de l’œuvre : ça aussi, c’est grisant.

Le contact avec les lecteurs est précieux. L’espace d’un instant, nous partageons une intimité profonde, presque gênante. Puis, chacun repart de son côté. C’est beau.

Quelle activité nourrit le plus votre créativité ?

La marche, assurément. Je marche environ deux heures par jour, c’est là que les phrases apparaissent, que les idées se clarifient, qu’une sorte de silence essentiel se fait — l’écriture se produit en grande partie pendant ces marches.

Quel est le meilleur conseil que vous ayez reçu ?

Dans les 10 règles de l’écriture proposées par [l’auteure] Zadie Smith, celle-ci affirme qu’il faut, si l’on veut passer notre vie à écrire, se résigner à la tristesse permanente de n’être jamais tout à fait satisfait. Je comprends parfaitement l’état dont elle parle — je n’y suis pas encore résignée, mais j’y travaille.

Quelle partie de votre boulot vous rend le plus heureuse ?

Terminer un texte ! L’euphorie et le sentiment de libération que me procure le mot « fin » sont formidables (très éphémères, mais formidables). Le contact avec les lecteurs, aussi, est précieux. L’espace d’un instant, nous partageons une intimité profonde, presque gênante. Puis, chacun repart de son côté. C’est beau.

Comment s’est passée la création de votre dernier essai, Les retranchées ?

Dans le doute ! Je souhaitais aborder certains enjeux autour de la famille, dans une perspective à la fois critique et personnelle, et je me suis beaucoup interrogée sur l’équilibre à trouver pour y arriver.

Que vouliez-vous transmettre dans cet essai ?

J’ai voulu décortiquer les mécanismes mis en place dans une société axée sur la performance pour instrumentaliser même les liens les plus intimes, ceux de la famille. Je voulais non seulement transmettre mon indignation et mes craintes par rapport aux écueils de la famille « performante », mais aussi me pousser à changer mes propres réflexes autodestructeurs — et, avec un peu de chance, en inspirer d’autres à faire de même.

Vous êtes également traductrice. Que vous apporte ce travail d’écriture particulier ?

C’est une sorte de classe de maître permanente. Pouvoir observer de si près le travail d’auteurs que j’admire est un privilège considérable, et je suis convaincue que toutes ces rencontres ont profondément marqué mon rapport à l’écriture. J’espère ne jamais cesser d’en faire. (Propos recueillis par Claudine St-Germain)