Romancier et biologiste, une curieuse alchimie…
L’été de ses 20 ans, Louis Hamelin, étudiant en biologie au campus Macdonald de l’Université McGill, jonglait avec l’idée de devenir écrivain. Dans un carnet, il notait tout: ses histoires de coeur, ses réflexions en découvrant Camus et… ses dissections d’insectes.
Son père, vérificateur aux Caisses populaires Desjardins, jugeait extravagante l’idée de gagner sa vie grâce à la littérature. Soucieux d’assurer la sécurité financière de son deuxième fils (il en a quatre autres), il pensait bien avoir trouvé la solution: Louis serait biologiste et écrirait des livres… sur la biologie.
Le paternel ne se trompait qu’à moitié. Car si «Ti’oui», comme on l’appelait, est plutôt devenu romancier, la biologie reste sans conteste son terreau privilégié. Ainsi, dans Le Soleil des gouffres (Boréal), roman achevé l’été dernier dans un coin perdu du Mexique, les hommes tombent comme des mouches. Et les mouches, qui font bon ménage avec les tortues et les oisillons, sont observées au microscope jusque dans leur intimité. (Le lecteur assiste même, impuissant, au supplice de la baignoire que s’impose l’une d’elles.)
«La littérature permet d’embrasser le monde alors que la biologie oblige à se spécialiser», dit-il pour justifier la décision qui a changé sa vie. Aujourd’hui, à 37 ans, il a cinq romans à son actif et porte avec une douce insouciance le titre ronflant d’«écrivain le plus prometteur de sa génération», dont la critique l’a affublé, «aussi immense que Jacques Ferron et Victor-Lévy Beaulieu».
«L’écriture, ça demande des efforts, dit-il. J’écris comme un cordonnier travaille le cuir.»
Avec sa tête de décrocheur surdiplômé, on a du mal à l’imaginer s’acharnant sur un manuscrit. Mince comme un fil dans son tshirt moulant, les cheveux bouclés tombant sur les épaules, l’air désinvolte, Louis Hamelin ne fait pas son âge. On lui donnerait 10 ans de moins. Aussi à l’aise seul en forêt qu’à jouer du coude dans la cohue, il n’est pas marié, n’a pas d’enfants et tient pour essentielle sa liberté de décamper quand bon lui semble ou d’écrire la nuit si ça lui chante. Les responsabilités, il les fuit comme une menace. «Je suis un excellent « mononcle »», dit-il, comme pour s’excuser.
L’accueil enthousiaste réservé à son premier roman, La Rage, qui lui a valu à 30 ans le Prix du gouverneur général en 1989, a eu l’effet d’un électrochoc. «J’avais corrigé les épreuves dans un état d’abattement total, dit-il. Le livre me sautait aux yeux comme une énorme absurdité. Je ne voyais pas, dans ce magma, où j’avais voulu en venir.»
Louis Hamelin n’aime pas parler de son deuxième roman, Ces spectres agités, qui lui a laissé un goût amer dans la bouche. Pas tant à cause de la critique, qui, après l’avoir encensé l’année précédente, lui reprocha son délire verbal. Mais parce que l’histoire qui l’a inspiré – sa liaison amoureuse avec une jeune fille alcoolique – a mal tourné. «Elle est morte étranglée dans une ruelle le jour où j’ai remis les disquettes à mon éditeur, dit-il. Un meurtre jamais résolu. J’avais choisi le vampire comme métaphore.» S’agissait-il d’un pressentiment? Il hésite: «C’est tentant d’attribuer un pouvoir maléfique au livre. La fiction dit toujours un peu la vérité.»
Cette fin tragique l’a troublé au point de le pousser à changer d’air. «J’ai déniché un emploi de commis dans une pourvoirie entre la haute Mauricie et l’Abitibi, dit-il. J’y suis allé avec l’idée d’écrire un livre.» C’était avant «l’été indien» de 1990. Dans ce Far West québécois, il a passé deux mois à observer les heurts entre autochtones et Blancs et à mesurer la fragilité des liens d’amitié qui se nouent parfois entre eux. Il en a rapporté des images fortes, où le désespoir est palpable: «J’ai vu des jeunes sniffer du naphta», se souvient-il.
Dans ce troisième roman, Cowboy, l’écrivain se défend bien d’avoir succombé au mythe du bon sauvage. L’épithète d’écolo qu’on lui accole souvent l’agace tout autant. Il ne cherche pas à profiter d’une mode: «La nature est très présente dans mes livres parce qu’elle l’est dans ma vie.»
Né à Grand-Mère deux mois après la mort du premier ministre Maurice Duplessis, en 1959, il a grandi à Maria, en Gaspésie, «entre la forêt et la mer». Il en a gardé des souvenirs indélébiles: une maison chaleureuse, une chaloupe, son vélo «mustang», les bois où il jouait avec ses frères et la plage à perte de vue. «Ma mère n’a pas chômé, dit-il. Nous sommes tous nés à un ou deux ans d’intervalle. Pas une fille. Au cinquième, le médecin n’a pas osé lui annoncer que c’était encore un garçon.»
Louis Hamelin sort à peine de l’adolescence lorsque sa famille quitte la baie des Chaleurs pour s’installer à Laval, où il mène la vie de banlieue typique, tâte de la drogue et évite les confrontations avec ses parents. Bientôt il quitte l’école, décroche une «jobine» qu’il abandonne peu après et, ses prestations de chômage en poche, file à Vancouver. «Je cherchais ma voie», dit-il.
Pur produit de sa génération, Hamelin crée dans ses romans des personnages qui collent à cette fin de millénaire: de jeunes squatters à l’avenir bouché qui fraternisent avec les expropriés de Mirabel, des starlettes pulpeuses à la Mitsou qui font un tabac au Festival de Saint-Tite, des disciples qu’on dirait sortis tout droit de l’Ordre du Temple solaire (OTS) et qui suivent docilement leur gourou. Les pieds bien ancrés dans la réalité («je tiens cela de ma mère»), il puise dans l’actualité la toile de fond de ses histoires. «Mes amis ont toujours pensé que je finirais journaliste.»
Moitié reporter, moitié écrivain, le héros de son nouveau roman, Le Soleil des gouffres, est sa copie conforme. Ce «thriller mystico-politique qui n’emprunte ni à Tom Clancy ni à Stephen King» reprend un thème qui lui est cher: le pouvoir, aussi bien spirituel que politique, exercé par des dominateurs à la fois séduisants et sanguinaires sur des êtres vulnérables.
«Ce livre, je l’ai laissé sur la glace pendant des années. Tout ce dont j’étais sûr, c’est qu’il y aurait affrontement entre le bien et le mal.»
Une bande d’étudiants en biologie entreprennent la traversée du désert du Colorado, aux États-Unis, où ils rencontrent un illuminé qui va changer le cours de leur vie. «Moi qui suis un terrien, un gars de gros bon sens, dit-il, j’ai essayé de comprendre la fascination qu’exercent les gourous.»
Louis Hamelin a tout lu sur le drame de l’OTS: «Pour un romancier, la foi est un matériau de rêve. Lorsque Luc Jouret disait: « On s’en va sur Sirius », il faisait preuve d’imagination. On trouve incroyable que les adeptes de l’ordre aient voulu changer de planète, mais on oublie que la religion catholique est aussi riche en métaphores. Pris à la lettre, le ciel est aussi absurde que les mythes véhiculés par les sectes.»
Il est question de sacrifices humains et de rites précolombiens dans ce drame qui trouve son dénouement à Teotihuacán, la cité des dieux disparus, au Mexique. «J’ai toujours su que j’aboutirais dans ce pays de contradictions, où le culte de la mort est bien vivant. Où les enfants mangent des crânes en chocolat et des ossements en sucre.»
Dans cette histoire aux relents apocalyptiques, la biologie joue un rôle de premier plan. C’est d’ailleurs là son originalité. Et c’est fort séduisant pour le lecteur, à condition qu’il ne se laisse pas intimider par la tigresse de Sibérie, qui s’arrache des lambeaux de chair pour en nourrir ses petits, ou par l’araignée qui se laisse grignoter les pattes par ses rejetons. Il y apprend même comment le baiser a été inventé par les grands singes.
Mais pour démêler les cladocères, qui ressemblent à des foetus humains, des gammarus aux antennes circonflexes qui baignent dans l’alcool sur les tablettes du laboratoire, il faut appeler à l’aide son Petit Robert ou son Petit Larousse. Et l’on se surprend à pester contre l’auteur, qui met notre patience à rude épreuve en nous obligeant à tout ce travail.
Mais Louis Hamelin le sait, qui, après un passage scientifique ardu, nous fait un clin d’oeil. C’est ainsi qu’au lieu de pêcher un copépode, un amphipode ou quelque autre crustacé, l’héroïne attrape un vieux condom gluant. La grosse limace pendouille lamentablement entre ses doigts…
Louis Hamelin a publié La Rage (Québec/Amérique, 1989), qui lui a valu le Prix du gouverneur général, Ces spectres agités (XYZ, 1991), Cowboy (XYZ, 1992) et Betsi Larousse ou L’Ineffable Eccéité de la loutre (XYZ, 1994). L’Instant même a publié un recueil de ses chroniques estivales parues dans Le Devoir à l’été 1994, sous le titre Les Étranges et Édifiantes Aventures d’un oniromane.