Louis-Joseph Papineau, chef des Patriotes de 1837, avait un fils schizophrène. Médecin et professeur de botanique à l’Université McGill, Lactance Papineau a fini ses jours à l’asile Saint Jean de Dieu, à Lyon, en France, où ses parents l’avaient discrètement fait interner.
Peu d’historiens se sont intéressés à ce drame familial qui a bouleversé la vie des Papineau, alors retirés dans leur manoir de Montebello, sur la rive nord de la rivière des Outaouais. C’est donc un petit miracle que les ex-enseignants Georges Aubin et Renée Blanchet ont réussi en mettant la main sur des documents inédits qui lèvent le voile sur ce secret bien gardé.
Je connaissais vaguement les deux chercheurs, à qui l’on doit l’édition (en cours) de la correspondance complète de Papineau – 1 800 lettres -, de sa femme, Julie, et de leurs fils Amédée et Lactance. Une oeuvre colossale qui, hélas! n’existait pas lorsque je m’usais les yeux aux Archives nationales en vue d’écrire Le roman de Julie Papineau. J’aurais vendu mon âme au diable pour y avoir accès.
Le coup de fil de Georges Aubin, au beau milieu de l’été, m’a intriguée. Sachant l’intérêt que je porte aux Papineau, il m’a annoncé qu’il avait reçu de France une lettre authentique du chef des Patriotes. « Pour la première fois, m’a-t-il dit, Papineau admet que Lactance souffre d’aliénation mentale. »
Sans tarder, j’ai pris la route de L’Assomption pour les rencontrer, lui et sa femme. Je les imaginais, tels des moines bénédictins, s’esquintant dans un nuage de poussière plus que centenaire. Lui, décryptant à la loupe des pages et des pages d’une écriture quasi illisible toute en pattes de mouches. Elle, tapant avec frénésie sur son clavier. En 10 ans, n’avaient-ils pas retrouvé, classé et annoté des milliers de lettres du 19e siècle, notamment celles de Wolfred Nelson, vainqueur de la bataille de Saint-Denis, et celles de Louis-Hippolyte La Fontaine, initiateur du Canada-Uni?
J’ai trouvé Georges Aubin et Renée Blanchet dans leur jardin, au milieu de plantes robustes. « C’est Papineau qui m’a appris à cultiver les fleurs, dit Georges Aubin. Ses lettres à Julie regorgent de précieux conseils. » Leur maison fourmille d’ouvrages écornés, dont certains datent du 16e siècle. Une montagne de photocopies débordent sur le piano, muet tant il est couvert de paperasse, cependant qu’au mur un calendrier consacré à Louis-Joseph Papineau marque les jours qui passent.
Le décor de parfaits rats de bibliothèque? J’incline à penser que nous sommes plutôt en présence d’un couple de détectives à l’affût de mystérieuses pièces à conviction qui permettraient de reconstituer des événements longtemps occultés parce que jugés honteux. Car, en plus de dépouiller les archives, ils mènent leurs enquêtes sur le terrain. À New York, au Vermont, à Paris, à Lyon
C’est en recopiant le journal de Lactance, ce fils mal-aimé dont Julie Papineau disait qu’il était le plus doué de ses enfants, que Renée Blanchet a percé le mystère de sa folie, qui se manifestera une quinzaine d’années plus tard. L’étudiant en médecine y raconte la vie quotidienne de sa famille en exil à Paris, avec son lot de chicanes et de frustrations. « Lactance a une écriture torturée, dit la chercheuse. Il m’a fallu six mois pour retranscrire le document. C’était émouvant. J’en ai pleuré. »
Pendant ce temps, Georges Aubin faisait le voyage jusqu’à Lyon, s’arrêtant à l’hôpital Saint Jean de Dieu avant de se rendre au cimetière où repose le fils de Papineau, mort loin des siens en 1862, à l’âge de 40 ans. À son retour, après de nombreuses démarches auprès des autorités de l’établissement de santé, Georges Aubin a fini par recevoir par la poste une lettre authentique signée de la main de Louis-Joseph Papineau en 1854. Elle est adressée à Elzéar-Alexandre Taschereau, futur évêque de Québec et premier cardinal canadien, chargé de conduire Lactance chez les hospitaliers de Lyon. Elle nous apprend que le jeune homme, qui porte la soutane (même s’il n’est pas prêtre), se croit en route vers Rome, où il espère obtenir la canonisation de son frère Gustave, mort à 20 ans, qu’il considérait comme un saint.
Cette pièce du dossier a pris tout son sens lorsque Renée Blanchet a trouvé, au Séminaire de Québec, les notes de voyage de l’abbé Thomas-Étienne Hamel, l’autre chaperon de Lactance, qui relate les faits et gestes du malheureux passager à bord du Charity, pendant la traversée de l’Atlantique. « Il ne mangeait plus, ne se rasait plus et consacrait ses journées à la prière », dit la chercheuse, qui publiera le journal de Lactance l’an prochain.
Pour ces auteurs d’une vingtaine d’ouvrages, cette découverte n’est qu’un heureux événement de plus dans leur longue quête pour retrouver les lettres des Patriotes, qui dorment aux archives dans l’indifférence générale ou traînent dans les fonds de tiroir de leurs descendants. « Nous nous sommes donné pour mission de rendre ces écrits accessibles au grand public, dit Georges Aubin. Tant mieux si nos livres sont utiles aux historiens, mais ce n’est pas le but. »
L’un d’eux avait protesté à la publication des premiers ouvrages de l’ex-enseignant: qui est ce Jos. Bleau qui marche sur nos plates-bandes? « Je lui ai demandé de signer l’introduction de mon livre suivant, explique l’auteur. Il a accepté. » Aujourd’hui, les historiens consultent le couple. Et les amis s’en mêlent. Ainsi, le romancier Yves Beauchemin m’a raconté que Georges et lui faisaient chaque année un pèlerinage: « Nous allons à Alburg, un village du Vermont à la frontière canado-américaine. C’est de là que le Dr Robert Nelson est parti, le 23 novembre 1838, pour venir proclamer l’indépendance du Bas-Canada. »
Qui a inculqué cette passion au couple? Tout a commencé lorsque Georges Aubin s’est intéressé au grand-oncle de sa femme, Magloire Blanchet: curé de Saint-Charles-sur-Richelieu au moment de la rébellion, il s’était ensuite exilé aux États-Unis. « Ça m’a surpris de voir qu’un Patriote en soutane, emprisonné pendant les troubles, était devenu le premier évêque de Seattle. » Aubin a publié des extraits de la correspondance de Magloire Blanchet dans Au Pied-du-Courant, un recueil de lettres écrites par les prisonniers politiques de 1837-1838.
Ces lettres apportent un éclairage insoupçonné sur la répression sanglante qui a suivi les soulèvements populaires. « Contrairement à ce que certains historiens affirment, dit-il, il existe des preuves que des viols ont été commis sur les femmes et les filles des rebelles. » Ainsi, après une rafle opérée par des miliciens chez Joseph Duquette (qui sera pendu), la soeur de celui-ci a été pourchassée dans le verger familial. Devenue muette et à demi folle, elle a dû être internée.
Cet automne, Georges Aubin publie la correspondance de Louis-Hippolyte La Fontaine et de Robert Baldwin (Les ficelles du pouvoir, aux Éditions Varia). Et Renée Blanchet plonge au coeur de la Nouvelle-France. Après avoir fait revivre sur le mode romanesque son aïeule dans Marguerite Pasquier, fille du Roy (Varia), elle signe Les filles de la Grande Anse (Varia), qui raconte la Conquête en cinq récits.
Pour en savoir plus
Louis-Joseph Papineau: Lettres à Julie, texte établi et annoté par Georges Aubin et Renée Blanchet, Septentrion, 2000, 812 p.
Julie Papineau, une femme patriote: Correspondance 1823-1862, introduction et notes de Renée Blanchet, Septentrion, 1997, 518 p.
Amédée Papineau: Journal d’un Fils de la Liberté, 1838-1855, introduction et notes de Georges Aubin, Septentrion, 1998, 961 p.
Lactance Papineau: Correspondance 1831-1857, introduction et notes de Renée Blanchet, Comeau & Nadeau, 2000, 249 p.