Le monde selon Loui

Loui Mauffette a confondu les sceptiques il y a 10 ans avec son spectacle Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent. Retour sur un pari fou, à la veille d’un dernier tour de piste.

Loui Maufette, lors d'une représentation de Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent. (Photo: Yves Renard)
Loui Maufette, lors d’une représentation de Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent. (Photo: Yves Renard)

Il y a 10 ans, Loui Mauffette imaginait Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent, un objet scénique non identifié, sorte de banquet déjanté où la crème des comédiens québécois allaient s’emparer des textes des plus grands poètes. Beaucoup le regardaient alors sourire en coin, prédisant au mieux un happening festif mais sans lendemain. Or, celui qui mène une double vie d’attaché de presse (au Théâtre du Nouveau Monde) et de metteur en scène a déjoué tous les pronostics: le public en redemande année après année, et le Festival international de la littérature (FIL) en a longtemps fait le clou de sa programmation. À la veille d’un dernier tour de piste, retour sur un pari fou avec le principal intéressé et deux de ses complices, les comédiens Julie Le Breton et Maxime Denommée.

Loui Mauffette, vous avez toujours dit que ce spectacle était dédié à votre père, l’homme de radio Guy Mauffette. Dix ans après la première mouture, est-il toujours au cœur du spectacle?

Loui Mauffette: Tout à fait. Plus que jamais, même. L’idée de Poésie, sandwichs m’est venue durant ses funérailles, en 2005. J’étais littéralement en chaire, en train de lui rendre hommage, quand j’ai ressenti le besoin viscéral de me réconcilier avec lui, cet homme qui avait été un père à la fois présent et absent, insaisissable. La poésie m’est apparue comme une voie pour renouer avec lui et avec mon enfance.


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On appelait d’ailleurs votre père le «poète des ondes». Jusqu’à la conception du spectacle, quel genre de rapport aviez-vous avec la poésie?

L.M.: Je n’en lisais à peu près pas! Je m’y intéressais, oui, mais j’avais un rapport conflictuel avec elle, ça me dérangeait de ne pas tout comprendre dans un poème. J’ai commencé à lire de la poésie pour la préparation de ce projet le jour où j’ai accepté de ne pas tout saisir, où j’ai choisi de l’aborder avec intuition, derrière une grande table, avec gourmandise, avec sensualité.

Loui Mauffette (au second plan) et ses deux complices de Poésie, sandwichs et autres soirées qui penchent : Julie Le Breton et Maxime Denommée.
Loui Mauffette (au second plan) et ses deux complices de Poésie, sandwichs et autres soirées qui penchent : Julie Le Breton et Maxime Denommée. (Photo: Jocelyn Michel pour L’actualité)

On emploie souvent l’expression «stonerie poétique» pour décrire ce rendez-vous…

Julie Le Breton: Oui, parce que le rapport aux mots n’est pas cérébral dans Poésie, sandwichs. Loui reçoit la poésie de façon viscérale, alors nous aussi. Il nous contamine. Tout ça passe par le cœur, les tripes, la peau, au point que ça devient une grande fête.

Maxime Denommée: J’irais jusqu’à dire que ce spectacle s’adresse en particulier à ceux qui pensent que c’est «plate», la poésie. Mon plus grand souhait, c’est que les gens qui en lisent peu viennent, et qu’ils emmènent leurs enfants, leurs ados. Nos spectateurs se rendent vite compte qu’on peut «triper» fort sans être dans le divertissement, qui prend tellement de place de nos jours.

Maxime, vous épaulez Loui dans cette aventure depuis la deuxième édition, en 2007. Il dit de vous que vous l’aidez à «organiser le chaos». Qu’est-ce que ça veut dire?

M.D.: Mon rôle est d’installer une courroie de transmission entre sa belle folie et les acteurs. Loui est un rassembleur, il nous convie à un gros party, il y a chaque fois beaucoup d’électricité dans l’air. On doit canaliser cette énergie, il faut qu’il y ait une structure dans tout ça et que les artistes comprennent leur partition. C’est un show qui avance vite, on passe sans arrêt d’un univers littéraire à un autre, il y a de la danse, de la musique, une scène d’orgie, alors on marche sur un fil.

Encadré Loui MaufetteJulie, c’est la cinquième fois que vous y prendrez part. Qu’est-ce que vous y trouvez, vous qui avez une carrière par ailleurs bien remplie?

J.L.B.: Il y a chaque fois une magie qui opère, malgré le peu de répétitions. Ça nous fait revenir au côté ludique et libre du jeu, à nos instincts premiers d’acteurs. Oui, c’est exigeant, mais le spectacle nourrit plus qu’il ne draine. Je l’avais vu comme spectatrice avant de jouer dedans, et je me rappelle avoir été sciée, incapable, après, de m’arrêter de pleurer. Mais c’étaient de belles larmes. Je retrouve ce frisson lors de chaque représentation.

 

Loui Mauffette, vous avez annoncé que cette édition de Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent serait la dernière. Faut-il vous croire, ou bien allez-vous faire une Dominique Michel de vous-même?

L.M.: Je suis sérieux. Je ne veux pas étirer la sauce. J’inventerai autre chose, d’autres belles folies… Je ne vous cacherai pas que ce show-là est exaltant, mais aussi lourd à porter, il coûte cher, il est déraisonnable. Si vous voulez voir ça, 26 comédiens qui se donnent sans compter, en plus de nos invités très spéciaux, mieux vaut ne pas passer à côté cette fois-ci!

Du 8 au 15 mai à la Cinquième Salle de la Place des Arts.