Le nouveau titan de la télé

Avec Tou.tv, Netflix et l’explosion des chaînes sur le Web, les téléspectateurs n’ont jamais eu autant de choix. « Mais si personne ne regarde plus la télé traditionnelle, demande le président du CRTC, Jean-Pierre Blais, comment financera-t-on les futures téléséries d’ici et les nouvelles locales ? » 

Illustration © Katy Lemay
Illustration © Katy Lemay

Un nid de fonctionnaires dépassés par la vitesse des changements technologiques. Un bidule bureaucratique dont Ottawa ferait bien de se départir au plus vite…

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) jouissait d’une réputation bien peu enviable dans le milieu des communica­tions. Mais c’était avant la nomination de Jean-Pierre Blais à sa tête, il y a deux ans.

Cet avocat formé à McGill puis en Australie (où il a obtenu une maîtrise en politiques télévisuelles et en droits d’auteur) s’est acquis une réputation de franc-tireur, capable de tenir tête aux plus puissantes entreprises de télécommunications.

Dans la dernière année, il a empêché celles-ci d’imposer des frais aux détenteurs de contrats de téléphonie cellulaire qui veulent mettre fin à leur entente après deux ans. Il a forcé l’industrie du sans-fil à sabrer de moitié les frais d’itinérance imposés à ceux qui utilisent le réseau d’un autre pays. Il a poussé Bell à se départir de centaines de millions de dollars d’actifs avant d’acheter le groupe Astral, pour éviter une trop grande concentration médiatique. Il est l’une des 50 « plus puissantes » personnalités du monde des affaires, selon le palmarès de Canadian Business.

« J’aime me comparer au canari dans les mines de charbon, au XIXe siècle », dit Jean-Pierre Blais, les cheveux gris et le regard perçant derrière ses lunettes carrées. Quand ce joli petit oiseau jaune suffoquait, les mineurs se rendaient compte qu’ils feraient mieux de remonter à la surface au plus vite s’ils ne voulaient pas mourir intoxiqués. À la tête du CRTC, Blais cherche à protéger les consommateurs.

En plus d’accorder des licences aux télédiffuseurs (son rôle le plus connu), son organisme agit comme « police » des communications, chargée du respect de la loi antipourriel et de la loi contre le télémarketing, qui empêche les entreprises de harceler les consommateurs par téléphone.

« Je veux réduire le pouvoir de nuisance de la technologie sur les gens », dit-il.

Cet automne, le CRTC tiendra trois grandes audiences publiques qui pourraient poser les bases de bouleversements majeurs dans une industrie (les télécommunications) qui ne vaut pas moins de 60 milliards de dollars.

Le premier chantier, intitulé « Parlons télé », portera sur l’avenir du petit écran au Canada. Jean-Pierre Blais promet des « changements importants » au système actuel. « On ne fait pas tout ça pour finir avec le statu quo », dit-il.

L’actualité l’a rencontré au bureau de l’administration centrale du CRTC, à Gatineau.

La télé d’ici est-elle en péril ?

Il y a des nuages à l’horizon. Ça ne veut pas dire qu’il va y avoir un orage, mais il faut se préparer. La technologie a changé considérablement la façon dont la télévision peut être consommée. Il y a encore des gens qui regar­dent la télé comme on la regardait il y a 10, 20 ou 30 ans. Mais je suis obligé de constater que le modèle qui permettait d’aller chercher régulièrement des audiences de deux ou trois millions de téléspectateurs bat de l’aile. Beaucoup de gens consomment le contenu audiovisuel sur des téléphones intelligents, des ordinateurs ­portables et toutes sortes de bidules. Tout ça a un effet sur l’aspect créatif et, surtout, sur le modèle économique. On fait encore de la très bonne télévision, mais on va devoir se questionner sur comment on va la financer dans l’avenir.

Depuis ses débuts, la télé se finance surtout par la vente de publicité. Avec une audience en fragmentation, ce modèle est sous pression. Même les revenus tirés de l’abonnement au câble risquent l’éclatement, parce que de nouvelles plateformes nous permettent de consommer le contenu à la carte. Le même phénomène qu’on a vu dans le monde du disque s’applique maintenant au modèle audiovisuel.

Les Québécois tiennent trop de choses pour acquises, dites-vous. Pourquoi ?

Les téléspectateurs francophones ont droit à des productions d’une qualité exceptionnelle, comme 19-2 et Unité 9. Mais l’avenir de ces séries lourdes et coûteuses n’est pas garanti. C’est un phénomène mondial. Même dans les grands marchés, comme en Grande-Bretagne, où la norme a longtemps été de 13 ou même 26 épisodes, on commence maintenant par en produire 9, 8 ou parfois 7…

Si une faille informatique permet à des clients d’avoir accès gratuitement à tout le contenu produit par une entreprise, celle-ci va faire faillite. C’est bien beau d’aller chercher gratuitement toutes les émissions que je veux dans Internet et des réseaux comme Netflix et Tou.tv, mais le modèle est fondé sur la pub, et si moins de gens regardent la télé traditionnelle, il y a un risque que la qualité et la diversité des productions en souffrent. Est-ce qu’il y aura autant de nouvelles locales et de journalisme d’enquête, par exemple ?

On parle de plus en plus des gens qui se débranchent du câble. Est-ce une vague de fond ?

Le nombre d’abonnés stagne, mais il n’y a pas encore de chute. Le nombre d’heures consacrées chaque semaine à l’écoute de contenu télévisuel plus traditionnel reste d’ailleurs très élevé, contrairement à ce qu’on pourrait croire. Ça s’explique en partie par les « hyperconsommateurs » de contenu, qui font monter la moyenne. Chez les plus jeunes, par contre, on remarque que beaucoup d’entre eux n’ont jamais été abonnés au câble — on les appelle les « cord n
evers » ! Ils sont satisfaits du contenu qu’on trouve sur YouTube, Tou.tv, Netflix et les quelques chaînes accessibles gratuitement avec des « oreilles de lapin ».

© Bertrand Calmeau / Radio-Canada
19-2 (© B. Calmeau/Radio-Canada)

« Les téléspectateurs francophones ont droit à des productions d’une qualité exceptionnelle. Mais l’avenir de ces séries lourdes et coûteuses n’est pas garanti. Le modèle actuel, fondé sur la pub, est sous pression. »
– Jean-Pierre Blais

L’arrivée de nouveaux géants, comme Netflix, vous inquiète-t-elle ?

Ce phénomène n’est pas que négatif. On parle beaucoup de Netflix, mais Tou.tv a été lancé bien avant. Illico, de Vidéotron, est aussi présent, Canal+ vient de débarquer… Toutes ces plateformes augmentent de beaucoup l’offre de contenu audiovisuel accessible rapidement. Mon inquiétude en tant que régulateur, c’est surtout la fragmentation de ce marché. Depuis les années 1960, la principale préoccupation, du côté québécois francophone, a toujours été la petitesse du marché. Le marché canadien-anglais est déjà petit par rapport à celui des États-Unis et de la Grande-Bretagne… Est-ce qu’on pourra toujours continuer à produire du contenu de qualité dans cet environnement ?

Pourriez-vous forcer les Netflix de ce monde à contribuer à un fonds pour soutenir la création de contenu canadien et québécois ?

C’est une possibilité. Certains aimeraient aussi que les fournisseurs de services Internet soient mis à contribution. Je ne peux pas me mettre devant un train technologique et tenter de l’arrêter. Il est là. Il faut adapter notre modèle réglementaire — ou de non-réglementation, parce que c’est aussi un choix.

Dans le passé, on pouvait limiter le nombre de chaînes par un système de quotas. Ça créait de la demande pour les émissions et des revenus pour financer l’offre. Ça marchait. Le monde a changé. L’environnement est en explosion. Il faut s’adapter.

Internet est peu ou pas réglementé. Le CRTC a-t-il seulement le pouvoir d’intervenir ?

Il est faux de dire qu’on ne peut rien faire. On ne réglemente pas les tarifs, mais on est très actifs du côté d’Internet. Notre mandat le plus important est de nous assurer que le marché d’Internet fonctionne bien, que les fournisseurs d’accès Internet ont un accès aux réseaux, même à ceux de leurs compétiteurs.

Je sais que des gens pensent que nous sommes désuets, mais le CRTC est mieux outillé que beaucoup d’autres régulateurs dans le monde.

On a toujours été comme le canari dans la mine. Même avant l’apparition d’Internet, on a dû faire face à l’arrivée de contenus étrangers, par voie hertzienne, en raison de notre frontière commune avec les États-Unis. Ça nous a donné une certaine expertise. Même si les émissions américaines sont bonnes, on a toujours réussi à conserver une place pour le contenu canadien.

BLAISLes Canadiens paient en moyenne 185 dollars par mois pour leurs services de télécommunications, en incluant Internet et le câble. Les câblodistributeurs sont-ils trop voraces ?

La question mérite d’être posée. Certains tarifs augmentent plus vite que l’inflation. Nos sondages montrent que les gens sont préoccupés par la hausse des coûts. Ils sont prêts à payer pour la qualité, mais ils aimeraient avoir plus de choix, plus de contrôle. C’est aussi ce que nous souhaitons.

Comment entrevoyez-vous la télé dans 10 ans ?

Pendant plus de 50 ans, des années 1960 jusqu’au début des années 2010, regarder la télévision était une activité familiale. À mon avis, ça va demeurer un média de masse, mais sa consommation va être de plus en plus individuelle.

Préparez-vous une révolution dans le système canadien de télé ?

On n’amorcerait pas un processus de ce genre, avec toute l’énergie et tout l’investissement que ça demande, si c’était pour aboutir, en fin de compte, au statu quo. On peut s’attendre à un cadre réglementaire très différent. Notre plus grande force, c’est de pouvoir rassembler tous les acteurs de l’industrie à la même table. C’est un petit marché, avec peu de concurrents. Mais on n’est pas là pour assurer des profits à des entreprises privées… Le but ultime, c’est de s’assurer qu’il y aura encore du contenu original canadien varié et de qualité.

Vous avez accroché sur un des murs de votre bureau une peinture d’un navire de guerre suédois. Pourquoi ?

Ce navire a été construit à la demande du roi Gustave de Suède, en 1626. À la dernière minute, il a exigé qu’on ajoute une deuxième rangée de canons au-dessus de celle déjà prévue. Les concepteurs du bateau ont accepté, mais les canons ont ajouté beaucoup trop de poids au navire, qui a sombré à son premier voyage, en sortant du port de Stockholm. Je tire une leçon de cette histoire : les gens qui ont construit le navire n’ont pas osé se tenir debout devant le roi, ils ont trop rapidement accepté ses directives. Je m’en sers comme modèle de gestion, pour que les fonctionnaires sachent qu’il y a une place pour dire la vérité.

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Pour quelques bonnes séries, combien d’interminables reprises?
Vous êtes pas tannés de voir la 14e reprise La p’tite Vie en prime time le samedi soir?
Vous êtes pas tannée de voir l’ouragan Juste pour rire pendant les Fètes et l’été?

Tout ca avec un milliard de nos taxes.

Vous ne lui avez pas demandé pourquoi qu’il a étudié à Melbourne? C’est la première fois que je vois ça: un Québécois qui fait une maitrise en Australie!

Avec ou sans Blais le CRTC est un dinosaure qui doit disparaitre.

Et cela rique d’arriver plus tot que tard s’ils vont de l’avant avec leur menaces plus ou moins voilées envers Netflix.

Go Netflix!!!