Le Prénom : tout le monde aux abris!

Un aveu : je ne fais pas partie des 15,7 millions de Québécois qui se pâmaient de rire devant chaque épisode de La Petite Vie. N’y voyez pas du snobisme, mais plutôt une intolérance bien personnelle à la réalisation de l’émission à la façon que les comédiens avaient de hurler chacune de leurs répliques. Bref, La Petite Vie m’agressait.
Sachant cela, vous comprendrez pourquoi j’ai si peu de bonnes choses à dire à propos du film Le Prénom, qui m’a beaucoup, beaucoup fait souffrir.

Vincent (Patrick Bruel), début quarantaine, attend son premier enfant. Lors d’un souper chez sa sœur Élisabeth (Valérie Benguigui) et son beau-frère Pierre (Charles Berling), où sont aussi présents un ami d’enfance et la conjointe de Vincent, la conversation tourne bien vite autour du choix du prénom du garçon à naître. Quand Vincent le dévoile enfin, l’engueulade éclate. De vieilles querelles ressurgissent, les insultes volent et des vérités sont déballées sur la place publique.
Pendant une longue heure et demie, chaque comédien hurlera ses répliques à pleins poumons. On leur aurait demandé de beugler plus fort qu’ils n’en auraient sans doute pas été capables. Et ça cabotine, et ça joue gros, et c’est à pleurer d’ennui.
Seule Valérie Benguigui réussit à tirer son épingle du jeu et à émouvoir, même si elle aussi a probablement filé droit chez l’oto-rhino-laryngologiste après le tournage… Elle a d’ailleurs remporté un césar pour son interprétation, le 22 février dernier.
Soyons tout de même bon joueur, le texte comporte de belles surprises et des retournements assez rocambolesques. Chacun offrant évidemment aux personnages une occasion de plus de se crier par la tête.
La transposition au grand écran de cette pièce de théâtre à succès, qui a fait un tabac à Montréal l’été dernier, laisse perplexe. Était-ce bien nécessaire? À part les séquences de présentation des personnages (qui sont une copie quasi conforme du Fabuleux destin d’Amélie Poulain), tout se déroule dans la même pièce, exactement comme si on était au théâtre.
Le travail des réalisateurs Mathieu Delaporte et Alexandre de la Patellière, qui ont également signé le texte, s’apparente donc davantage à une mise en scène de théâtre d’été qu’à un travail cinématographique.
Le Prénom, version théâtre, sera d’ailleurs à l’affiche une partie de l’été à Bromont, dans une mise en scène de Serge Denoncourt. Et la distribution est pas piquée des vers : Isabelle Vincent, Patrice Robitaille, Christian Bégin, Catherine Anne Toupin et Gabriel Sabourin. Privilégiez donc la pièce…

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Je n’ai pas encore vu le Prénom et ta chronique me refroidit quelque peu… Par contre, j’ai beaucoup ri à une autre sortie DVD de la semaine, Seven Psychopaths. Tordant, si on n’est pas allergique à l’hémoglobine de synthèse !

Vous ne me convaincrez pas. J’irai voir ‘Le Prénom’.

Étant donné ce qui est arrivé à la comédie à l’italienne lors de sa première apogée du début des années 60 aux mains des critiques et des intellectuels italiens de l’époque (qui avaient d’ailleurs eux-mêmes donné cette appellation voulue péjorative au nouveau genre comique inventé à la fin des années 50 par les entertainers Age-Scarpelli-Monicelli-Risi et consorts) (*), jamais, jamais, au grand JAMAIS je ne crois un critique de cinéma qui descend une comédie. J’avais beau ne pas être né à l’époque, ‘Le Pigeon’, ‘La Grande guerre’, ‘La grande pagaille’, ‘Le Fédéral’, ‘Une Vie difficile’, ‘Le Fanfaron’, ‘L’armée Brancaleone’ et tous les autres sont mes films préférés – tous pays, genres et époques confondus.

Il y a quelque chose dans la doxa académique qui rend les critiques de cinéma incompétents en matière d’humour, de comique, atteints qu’ils sont de ce mortel « esprit de sérieux » contre lequel justement des Monicelli et des Age & Scarpelli étaient en guerre ouverte – et moi de même. Ou comme disait le maestro Dino Risi: «Les critiques sont par nature incapables de rire des choses sérieuses, sans quoi ils n’auraient pas fait de la critique.» (Et je vous épargne Monicelli et Comencini, qui sont encore plus vitrioliques – avec raison bien entendu).

Et ça remonte à loin: il y a des siècles, les ‘letterati’ étaient déjà unanimes à condamner la ‘commedia dell’arte’, « facile » et « vulgaire ». Ces critiques-là sont bien oubliés aujourd’hui, gneh eh eh; et heureusement, le public ne tenait AUCUN COMPTE de leur avis. Comme le notait fort justement Vittorio Gassman, acteur shakespearien au théâtre et comique populaire au cinéma: « Il y a toujours un soupçon vis-à-vis de ce qui est divertissant: attention danger, ce qui est divertissant appartient à un genre inférieur. C’est une grave erreur, une erreur antique de notre culture officielle. »

Il m’est certes arrivé plusieurs fois de me repentir de mon attitude – car c’est en l’appliquant que je suis allé voir ‘Les Dangereux’ ! les pires débilités d’Adam Sandler ! et plusieurs autres âneries ! – mais je persiste, depuis des années et des années. Certes, depuis que le « domestic market » et le zonage prophylactique des DVD a coupé notre marché francophone du monde extérieur, il n’y a plus de cinéma populaire étranger qui sort en français au Québec, seulement des films « art house » pour critiques, mais mon « principe italien » vaut pour n’importe quelle farce.

(*) Deux seules exceptions à cette règle de fer (deux qui sont trois, hi hi), d’intellos qui ont aimé le genre au moment de son triomphe auprès du public et non rétrospectivement, quinze ou vingt ans trop tard: Fruttero & Lucentini, hommes du Nord et de droite, dans ‘La Prédominance du crétin’ avec un éloge magnifique au tandem de scénaristes Age & Scarpelli, et Leonardo Sciascia, homme du Sud et de gauche, dans ‘La Sicile comme métaphore’ où il fait un bref mais éloquent éloge du tragicomique Alberto Sordi. Mais ni Sciascia, ni F & L n’étaient des critiques de cinéma « patentés » : seulement d’honnêtes spectateurs désintéressés qui, n’étant pas des parvenus de la culture se haussant du col, n’éprouvaient pas la même aversion « instinctive » pour la culture populaire.