Le roman du mois : Les manquants, de Marie-Ève Lacasse

Après sa remarquée Autobiographie de l’étranger, cette romancière québécoise installée à Paris nous plonge dans un huis clos étouffant où la vérité de l’une est le mensonge de l’autre.

montage : L’actualité

L’histoire

Le mari de Claire, Thomas, est parti soudainement. Pas de message ni de départ avec fracas : rien ne semble expliquer sa disparition. Deux ans plus tard, Claire et ses amies Joan et Hélène vivent désormais dans une commune. Pour se renflouer, elles doivent « officialiser » la disparition de Thomas. Mais le commissaire trouve l’affaire louche. Pourquoi avoir attendu deux ans ? Chacune des trois femmes croit savoir ce qui s’est passé… et personne n’a la même idée !

(Seuil, 256 p.)

3 bonnes raisons de lire Les manquants

1

C’est un roman noir percutant

Rapidement, on sent l’ambiance du roman noir envahir l’histoire : des secrets bien enfouis, des rivalités inavouées, des tensions amoureuses lourdes de conséquences… Tour à tour, à la manière d’un roman choral, Claire, Joan et Hélène, amies depuis l’université, fournissent au commissaire des détails à propos de leur amitié et de leur relation avec Thomas. Que ce soit dans le détachement de l’une ou dans l’acharnement de l’autre, Marie-Ève Lacasse a réussi à imposer une lourdeur glauque à l’œuvre. Elle y aborde d’étonnants tabous, comme le dilemme entre l’espoir du retour de Thomas et le soulagement qui vient avec l’absence d’une personne qu’on n’aime plus.

2

L’autrice présente une réflexion aboutie sur l’absence

En viticulture, les manquants, ce sont les pieds de vigne qui sont morts. Dans ses vignes, héritées de ses parents, Claire décide de ne pas remplacer les manquants et laisse ainsi « des espaces vides, parmi les vivants. » Thomas, c’est le manquant de Claire, qui n’est ni retrouvé ni remplacé. L’autrice soulève aussi les manquants « sociaux » dans son roman : l’absence de justice sociale, la disparition des cultures, le déni des enjeux climatiques, etc. Il s’agit là d’un parallèle fort qui détermine une bonne partie du propos du livre.

3

La viticulture y est mise en avant avec brio

Ce n’est pas un hasard si Claire a tout plaqué pour travailler dans les vignes familiales. Journaliste pour Libération, l’autrice s’intéresse à la sociologie du monde vigneron. Elle a cocréé le balado Filles de vignes, qui présente des professionnelles du vin. Ici, Claire incarne la rudesse de ce métier, qui peut sembler romantique pour certains. Lors de sa déposition, elle raconte comment elle s’est mise à travailler trop, se heurtant aux difficultés de la terre et des attentes de rendement. C’est le constat de l’influence des changements climatiques sur la viticulture qui l’a convaincue de s’établir dans une commune, un milieu en accord avec ses valeurs profondes d’égalité et de protection de l’environnement.