Le sexe dans tous ses états

Folle succède à Putain sans coup férir.

Samuel Beckett, l’auteur d’En attendant Godot, un jour qu’on lui demandait pourquoi il écrivait, répondit succinctement: « Bon qu’à ça.»

Il n’y a pas grand-chose à changer dans cette réponse pour l’appliquer à la narratrice du deuxième roman de Nelly Arcan, Folle: « Pense qu’à ça.» Au sexe, bien entendu.

Folle raconte donc une aventure – non, ce n’est pas tout à fait ça – ou une passion – le mot est peut-être trop fort -, enfin ce qu’on pourrait appeler une liaison ou un collage entre la narratrice, qui déclare s’appeler Nelly Arcan, « ex-pute », et un journaliste qui passe l’essentiel de son temps à regarder les sites pornos dans Internet et rêve d’écrire un roman qui naîtrait de ces interminables séances de contemplation. Il est aussi français, français de France, installé au Québec depuis cinq ans, ce qui fait de lui, pour la très québécoise Nelly, un compagnon à la fois attirant et redoutable.

Ils se sont connus dans un bar du Plateau-Mont-Royal ou des environs immédiats – question difficile: nommez cinq romans québécois de l’année dernière qui se passent ailleurs! -, où se nouent et se dénouent des liaisons sulfureuses, alcool et drogue aidant. Ça continue chez le gars, dans le lit et/ou devant la télévision porno; puis, retour au bar, et ainsi de suite, jusqu’à l’épuisement du sujet. Le sentiment appelé amour, du moins il y a quelques siècles, n’a rien à voir dans ces ébats. On risque de s’ennuyer un peu. La chair, qui était déjà « triste » au temps de Mallarmé, n’a pas des ressources infinies.

Ce qui sauve le roman de Nelly Arcan de la monomanie sexuelle, toutefois, c’est justement cette tristesse, déjà présente dans les premières pages et qui devient une sorte de passion du néant. Seule la narratrice en est atteinte; le gars, lui, le passionné de porno télévisuel, le futur romancier à succès, n’a d’intérêt que pour sa carrière. Il réussira, c’est sûr, il est baraqué pour ça. Mais on assiste, chez Nelly Arcan (celle du roman), à l’infaillible progression d’une défaite qui était déjà inscrite dans les premières pages. Proche de ses 29 ans, elle a d’ailleurs décidé qu’elle mourrait à 30. Un commentateur enthousiaste a parlé, à la radio, de tragédie. Non, ce n’est pas ça. Il faut de grands enjeux pour nourrir une tragédie. Ici, c’est le rien qui appelle, et qui s’apprête à gagner.

Soulignons que l’écriture de Nelly Arcan (l’auteure), dans Folle, est beaucoup plus ferme, plus efficace qu’elle ne l’était dans Putain. On y rencontre aussi, en dehors de la horde hétéroclite des habitués de la vie nocturne – ou plutôt à une très grande distance d’elle -, deux personnages assez curieux, qui apparaissent épisodiquement dans le récit: une tante qui lit les tarots et un grand-père qui entretient avec Dieu des relations familières et souvent conflictuelles. Ils ont l’air d’être vivants, ceux-là.

Folle, par Nelly Arcan, Seuil, 205 p., 29,95$.