Chapitre 8
L’épuisante société du Just do it
C’est peut-être parce que ce sont nos voisins, ou parce que leur impérialisme s’impose à travers le monde depuis trop d’années, mais je suis tannée que l’on nous vende le narratif américain. J’ai avalé depuis ma naissance une quantité indigeste d’images, de films, d’émissions, de messages qui racontent tous essentiellement la même chose : bats-toi et tu pourras devenir la meilleure version de toi-même. C’est simple. Just do it.
Je me souviens qu’en découvrant la nouvelle publicité de Nike avec Colin Kaepernick « Believe in something. Even if it means sacrificing everything », j’ai tout de suite pensé que c’était une campagne brillante dans leur contexte politique. Lui, ce joueur de football américain, qui a le courage d’utiliser sa plateforme pour dénoncer la brutalité policière et le profilage racial aux États-Unis. Qui a le guts de faire ce geste de poser un genou par terre pendant l’hymne national d’avant match et bien sûr de faire désordre. Dans cette Amérique blanche, puissante et riche qui utilise le sport comme un truc ultrapatriotique, venir mettre une mouche dans leur gâteau bariolé aux couleurs du 4 juillet, forcément, ça dérange. Surtout quand ton président est un résidu orange qui a les facultés intellectuelles d’un enfant de deux ans qui n’a pas fait de sieste, un tas misogyne qui aurait été chié par une autre époque, qui ne comprend même pas qu’il est raciste puisque pour lui, c’est une évidence, il vaut mieux être blanc et riche que brun et pauvre.
Ce doigt d’honneur était donc parfait, Nike était en accord avec les valeurs de l’athlète et Kaepernick a choisi cette cause, au risque de perdre sa carrière.
Le message : « Croire, jusqu’à tout sacrifier. »
Cela dit, ça reste un mouvement politique et le courage d’un homme récupéré par une campagne marketing qui a pour but de vendre des chaussures. Et surtout de nous marteler en permanence que le bonheur vient de l’ultraperformance. Sois un champion ou meurs. Renverse-toi un seau de Gatorade sur la tronche, vas-y, rugis ! Le sang, la vie, l’Amérique.
Je suis fatiguée de ça. Cette pression. Je suis fatiguée que ce rythme et cette manière d’aborder la vie semblent le seul chemin de la réussite. La seule voie possible. Être meilleur que les autres. Atteindre la plus haute marche du podium, coûte que coûte, parce que si tu ne sacrifies pas tout ce que t’as pour ton rêve, t’es un perdant. Si tu débarques de la course, il n’y a rien d’autre. Tu seras seul et t’auras perdu.
Non mais ça ne va pas ? Vous imaginez la pression que ça représente de gober ce discours à longueur d’année ? Ça va s’arrêter où, cette fuite vers l’avant ? Ce besoin d’étirer constamment l’élastique ?
On a avalé aveuglément la prémisse. Comme un Dieu que l’on doit servir. Tu performes beaucoup, tu existes beaucoup. Mais qui nous a dit ça ? Comment on a tout simplement accepté qu’être le plus admiré soit ce que la vie proposait de gagner ?

La société du plus haut, plus fort, plus loin, m’excède. L’envers de cette médaille, c’est la maladie mentale qui prend de l’expansion parce que l’on continue de se comparer à des idéaux beaucoup trop élevés. À rater les cibles dictées par un marketing qui se fout de tout, à part nous vendre des produits pour qu’une compagnie soit elle-même plus grosse que son compétiteur.
Ça rend fou.
Jurez-vous de vous aimer et de vous chérir jusqu’à ce que l’un de vous lise les messages privés de l’autre et que ça soit la catastrophe ?
La vie n’est pas une course, par Léa Stréliski, Éditions Québec Amérique, 120 p.
On ne peut plus d’accord. Le « race-ism » est le pire fléau contemporain.
Votre jeu de mot est très malin… il faut prendre le temps de voir le mot ¨race¨ en anglais dedans…sinon ?
Je suis totalement d’accord avec ce point de vue également. Cette course effrénée ne peut que mener à un épuisement autant physique que mental.
Par contre, à l’âge que j’ai, je peux vous dire quand même que la vie est inébranlablement une course, course folle s’il en est, mais à l’opposé d’un Marathon. Comparativement au Marathon où la course commence plus rapidement qu’elle se termine rapidement, la course de la vie est inverse. Elle commence lentement, à petits pas, et elle se termine en super-accéléré… et il devient épuisant de vouloir combattre cette vitesse. Et chose certaine, il n’y a pas de podium qui nous attend au bout.