Première Guerre mondiale : l’énigme du matricule 62218

Pendant la Première Guerre mondiale, la justice militaire britannique a exécuté 25 Canadiens, dont le Québécois Léopold Delisle. Pourquoi ?

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Photo : BNF

Ce matin-là, le clairon sonna le réveil à 3 h. Stationnés à Bailleulval, dans le nord de la France, les hommes du 22e Bataillon (canadien-français) se mirent rapidement en marche. Une heure et demie plus tard, ils arrivèrent dans un village dont ils ne savaient rien, pas même le nom. On les fit pénétrer dans une grande cour entourée d’un mur de pierres. Devant eux apparut alors un camarade qu’ils ne reverraient plus jamais : Léopold Delisle.

« Il nous jette un regard si triste que je me sens ému jusqu’aux larmes », écrira un témoin, le lieutenant Arthur-Joseph Lapointe, père du comédien Jean Lapointe. Entouré de deux gendarmes, Delisle disparaît derrière une grande toile : les « poil-aux-pattes » (surnom donné aux soldats canadiens-français) ne doivent pas voir la scène qui va suivre.

Menotté les mains derrière le dos, assis — il ne faut pas qu’il titube —, Delisle fait face au peloton, à ses propres compagnons d’armes. Soudain, les fusils crachent leurs balles. Dans la lueur de l’aube, le matricule 62218 s’effondre. Reconnu coupable d’avoir abandonné son poste pendant quelques jours, le déserteur a été passé par les armes. Pour l’exemple.

De l’autre côté de la toile, un officier crie : « Attention ! » Au garde-à-vous, les soldats observent une minute de silence. Il est 4 h 24 en ce 21 mai 1918.

Sur les 348 soldats du Commonwealth qui ont connu une fin semblable pendant la Première Guerre mondiale, on compte 25 Canadiens. Après des procès expéditifs, la justice militaire britannique les a condamnés à mort, principalement pour désertion, meurtre ou lâcheté.

Le sort de ces Canadiens compte peu dans un conflit qui a coûté la vie à 37 millions de personnes, embrasé l’Europe entière et englouti quatre empires (russe, austro-hongrois, ottoman et allemand). Mais ces exécutions rappellent à quel point Ottawa se pliait volontiers aux diktats de Londres — car c’est de son plein gré que le Canada a soumis ses citoyens à l’autorité britannique.

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Photo : BAC – PA-001017 – Mikan 324489

Delisle est un curieux jeune homme. Avait-il seulement toute sa tête ? Sa santé mentale, surtout après son arrivée en Europe, semble chancelante. En exécutant le matricule 62218, sa hiérarchie s’est-elle débarrassée d’un malade ? La lecture de son dossier de service, mis en ligne par les Archives nationales du Canada (pour qui des bénévoles ont fait un extraordinaire travail de numérisation des documents sur la Première Guerre mondiale), est des plus instructives.

Léopold Delisle n’est pas bien grand — il ne mesure que « cinq pieds et six pouces » (1,70 m) —, mais il n’est pas interdit de penser que c’est un bagarreur. Les médecins constatent qu’il a des cicatrices à la joue gauche, au genou gauche et au dos. Il a peut-être encaissé des coups, mais on dirait qu’il sait se défendre : il a toutes ses dents.

Au début de la guerre, ce « journalier » de 22 ans s’enrôle trois fois, chose quelque peu étrange. Trois fois, il remplit des formulaires dans des centres de recrutement de Montréal (le 30 novembre 1914, le 15 janvier et le 22 avril 1915). Curieusement, ses réponses varient d’une fois à l’autre. Il est né en 1892, d’accord, mais le 28 janvier ou le 28 juillet ? Habite-t-il chez son père, Philippe Delisle, rue Saint-Urbain, ou chez sa mère, Hectorine Larose, sur la 3e Avenue ?

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Document des Forces armées canadiennes relatif au soldat Léopold Delisle.

Trois fois, Delisle prête serment au roi George V (le grand-père de la reine Élisabeth). Par le fait même, il s’engage pour toute la durée de « la guerre entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne ».

Lorsque Londres déclare la guerre à Berlin, le Canada est automatiquement entraîné dans le conflit. La mobilisation est massive : plus de 600 000 hommes sont enrôlés, ou plus tard conscrits, sur une population de huit millions d’habitants !

Au Canada anglais, la guerre suscite l’engouement (du moins dans un premier temps), d’autant que la majorité des volontaires sont nés en Grande-Bretagne. Au Québec, toutefois, on est presque unanimement contre elle, surtout après la crise de la conscription, en 1917, et l’émeute de Québec, l’année suivante.

Pas difficile de comprendre pourquoi la Première Guerre mondiale sera vite appelée la « Grande Guerre » : 60 millions de soldats y prendront part. Plus de 20 millions de personnes seront blessées, pas seulement physiquement.

À l’époque, on ne sait pas qualifier les chocs nerveux dont les militaires souffrent sur le front. Le problème crève les yeux, pourtant : en 1916, environ 30 000 soldats du Commonwealth seront envoyés en Angleterre afin qu’ils se fassent soigner pour ces mystérieux troubles mentaux. Des milliers finiront à l’asile.

Ces hommes souffrent de maux variés. Ils restent prostrés, paralysés… Perdent la mémoire… Tremblent sans raison… N’arrivent plus à se concentrer… Font des cauchemars, même éveillés… Leurs récits finissent par se ressembler. Ils parlent de l’horreur qu’ils ont vue. De la mort à laquelle ils ont échappé, de la mort qu’ils ont infligée. Le maniement de la baïonnette est plus difficile qu’on ne le leur a laissé croire.

Puis, il y a l’horreur que nul n’a vue mais que tous redoutent, peut-être surtout les Canadiens. Le bruit court que les Allemands ont crucifié trois soldats canadiens près d’Ypres, en Belgique. Ce sujet, d’abord évoqué dans le Times de Londres en 1915, se révélera être un canular. Mais la légende court toujours un siècle plus tard.

Les obus qui tombent sur les soldats sont toutefois bien réels. Ces shells, comme on dit en anglais, pleuvent sur le nord de la France. Beaucoup de militaires sont en état de choc. Ils sont shell-shocked, terme qui apparaît dans la revue médicale britannique The Lancet dès 1915. Chez les médecins, la controverse fait rage : s’agit-il d’une blessure ou d’une maladie ? Ce problème est-il physique — comme dans le cas des commotions cérébrales — ou psychologique ? Dans une hiérarchie qui se moque de ces subtilités, l’affaire est vite décidée : shell-shocked est synonyme de lâche ou de femmelette…

Delisle souffrait-il de ce qu’on appelle aujourd’hui le syndrome de stress post-traumatique ? Difficile à dire. Car son itinéraire, qu’on peut résumer en quelques dates, reste énigmatique.

Le 20 mai 1915, Delisle quitte le Québec à bord du Saxonia, paquebot réquisitionné par Londres, à destination de l’Angleterre. Dès le mois suivant, ses ennuis commencent : on lui enlève trois jours de salaire pour « insubordination » et « ivresse ». On lui reprochera vite son refus d’obéir aux ordres.

Le 19 septembre 1915, Delisle s’embarque pour Boulogne. Il ne restera toutefois pas longtemps en France ; il est envoyé à Ypres, en Belgique, à cinq jours de marche. Il restera six mois dans les tranchées.

Le 30 avril 1916, Delisle frappe un officier. Condamné à un an de prison, il est enfermé à bord d’un navire britannique amarré au Havre, la prison militaire « numéro trois ».

Après sa sortie, son dossier médical signale des « convulsions », une première indication que Delisle n’allait pas bien. Cela ne l’empêchera pas de rejoindre une compagnie de sapeurs mineurs chargée de creuser tranchées et galeries. Existe-t-il travail plus ingrat ? Aux côtés de mineurs expérimentés, Delisle et d’autres membres d’infanterie charrient des gravats comme des bêtes de somme.

Sur le front, pendant ce temps, les Allemands tiennent le haut du pavé. En mars 1918, ils parviennent à 150 km de Paris. Cela va tellement bien pour eux que l’empereur Guillaume II déclare le 24 mars jour férié !

La semaine suivante, Delisle s’accorde une semaine de « congé ». Au réveil, le 29 mars, il manque à l’appel. Il sera arrêté sept jours plus tard à Camblain-l’Abbé, près d’Arras. « C’est la goutte qui fait déborder le vase ; c’est ce qui va lui être fatal », explique l’historien militaire Michel Litalien, auteur d’Écrire sa guerre (éditions Athéna). Accusé d’avoir « déserté le service de Sa Majesté », Delisle sera incarcéré et condamné à l’issue d’un procès qui durera une seule journée.

Pour ce crime, Thomas-Louis Tremblay, commandant du 22e Bataillon (le futur Royal 22e Régiment), demande la peine capitale. Déterminé à lutter contre « l’épidémie » d’absences non autorisées, il tient à ce que l’exécution soit publique. Il fait d’ailleurs défiler toute l’arrière-garde du bataillon devant le cadavre de Delisle. « C’est un devoir cruel qu’on nous impose », écrira le lieutenant Lapointe dans Souvenirs et impressions de ma vie de soldat, publié en 1919. « J’apporte avec moi une vision si vivace de cet horrible spectacle qu’il me semble que je ne l’oublierai jamais. »

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Le commandant du 22e Bataillon, Thomas-Louis Tremblay, qui a demandé la peine capitale pour Léopold Delisle. (Photo : MCG 19930012-220 ; Coll. d’archives George Metcalf © Musée canadien de la guerre)
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Officiers du 22e Bataillon. (Photo : MCG 19930012-245 ; Coll. d’archives George Metcalf © Musée canadien de la guerre)

Tremblay doit rendre des comptes à sa propre hiérarchie, notamment au commandant en chef des armées britanniques en France. Sir Douglas Haig doit confirmer la peine de Delisle avant que ce dernier soit passé par les armes. Mais celui que ses détracteurs surnomment « Haig le boucher » ne pousse pas Tremblay à faire tomber des têtes. Au contraire, souligne Michel Litalien : Haig refuse de lui donner le feu vert dans une quinzaine de cas.

Delisle, un cas problème pour l’armée, a été hospitalisé deux fois pour « NYDM » (not yet diagnosed mental), un diagnostic extrêmement flou qui dit l’incapacité des médecins à comprendre de quel trouble il souffre. La santé mentale, il est vrai, n’était pas leur première préoccupation. Ils avaient d’autres chats à fouetter : les blessés graves, les « maladies vénériennes » (comme on disait alors), la fièvre des tranchées, semblable à la malaria mais transmise par les poux, etc.

Difficile pour eux de savoir ce qui se passait dans la tête des combattants — mais voulaient-ils savoir ? « Il y avait une vraie réticence à poser un diagnostic, parce que cela revenait à reconnaître qu’il y avait un problème », explique le psychiatre et historien britannique Peter Barham, spécialiste de la Première Guerre mondiale. « La hiérarchie militaire craignait que ces patients, s’ils étaient officiellement reconnus en tant que tels, ne doivent être pris en charge comme les autres malades. »

Le dossier médical de Delisle, que j’ai montré au Dr Barham, est trop sommaire pour lui permettre de se prononcer sur son cas. Mais les « convulsions » dont il est question en 1917 lui font penser à l’épilepsie, dont les crises peuvent être provoquées par un traumatisme ou, chez les alcooliques, par un sevrage trop brutal.

Delisle fut enterré au cimetière militaire de Bellacourt, au sud-ouest d’Arras. À l’ombre d’une grande croix, 431 hommes reposent sous une pelouse bien entretenue. La stèle de Delisle, dans la rangée J, est facile à trouver. Une feuille d’érable gravée dans la pierre fait tout de suite comprendre qu’il s’agit là d’un Canadien. Rien ne laisse deviner, toutefois, qu’il a été fusillé par les siens. À l’entrée du cimetière, le registre se contente de préciser l’adresse de sa mère : 1553, rue Jeanne-Mance, Montréal (à l’emplacement de l’actuelle Place des Arts).

C’est là, après la guerre, que les autorités fédérales ont envoyé une médaille à Mme Delisle — comme à toutes les familles des soldats canadiens morts pour le roi. Il y était inscrit, en anglais, que son fils était tombé « pour la liberté et l’honneur ». Mais il était hors de question d’inscrire son nom dans le Livre du Souvenir de la Première Guerre mondiale, qu’on trouve dans la Chapelle du Souvenir de la Tour de la Paix.

Ottawa, qui a aboli la peine capitale sous Pierre E. Trudeau, n’a jamais présenté d’excuses en bonne et due forme aux familles des fusillés canadiens. En 2001, le ministre libéral des Anciens Combattants, Ron Duhamel, a exprimé sa « peine profonde » pour la mort des 23 militaires exécutés pour désertion, reconnaissant que ces hommes, probablement atteints de stress post-traumatique, avaient eu des procès douteux. Leurs noms, dont celui de Delisle, ont alors été ajoutés au Livre du Souvenir. (Deux autres fusillés canadiens, reconnus coupables de meurtre, n’ont pas été, eux, ainsi honorés.)

En 2006, le ministre britannique de la Défense, Des Browne, est allé plus loin en « graciant » les militaires exécutés par la Grande-Bretagne pendant la Première Guerre mondiale, y compris les Canadiens. Un monument, le Shot at Dawn Memorial, commémore ces victimes dans le Staffordshire, au nord-ouest de Londres. Cette sculpture représente le plus jeune des fusillés, un adolescent de 17 ans, et plus de 300 poteaux d’exécution. Le nom de Delisle figure sur l’un d’eux.

La décision britannique de gracier ces hommes a suscité la controverse jusqu’au Québec. Desmond Morton, célèbre professeur de l’Université McGill, a accusé Londres de réécrire l’histoire. « Si tout le monde qui voulait s’enfuir l’avait fait, que serait-il advenu de l’armée ? » s’est-il interrogé dans une entrevue à Canwest.

Pas grand-chose, si on se fie à l’historien Andrew B. Godefroy. Dans un remarquable mémoire sur les fusillés canadiens, For Freedom and Honour (CEF Books), Godefroy dresse un parallèle avec l’Australie, dont les hommes combattirent eux aussi pour George V. Non seulement ce pays refusa de se plier à la justice militaire britannique, mais il refusa d’exécuter les déserteurs tout court. Les autorités australiennes considéraient qu’on ne pouvait pas tuer un volontaire qui avait eu le courage de s’enrôler quand il se révélait moins vaillant. La Force impériale australienne a effectivement dû faire face à des problèmes de discipline, note Godefroy, mais cela n’a eu aucune incidence sur les champs de bataille, où les Australiens se sont eux aussi distingués. (Les États-Unis n’ont pas non plus exécuté un seul déserteur pendant la Première Guerre mondiale.)

Frederick George Scott, prêtre anglican né à Montréal, accompagna le Corps expéditionnaire canadien en France. En 1917, il assista à l’exécution d’un Canadien, à qui il n’avait pu proposer que sa bible et son brandy. « J’ai entendu les récits déchirants des souffrances de ces hommes, mais rien ne m’a jamais fait comprendre aussi profondément et aussi crûment l’horreur de la guerre et la main de fer de la discipline que cette mort solitaire dans les brumes du petit matin », écrit-il dans The Great War as I Saw It, publié en 1922.

Toutefois, cet aumônier, auteur d’un Hymne à l’Empire et d’autres poésies probritanniques, ne critiqua jamais les juges qui avaient exigé la peine capitale. Il réservait son fiel pour d’autres. « Si ce livre tombe un jour dans les mains d’un homme qui, par lâcheté, a refusé de faire son devoir pendant la guerre, qu’il réfléchisse bien : n’eussent été les défaillances de la justice, c’est lui qui aurait dû, ce matin-là, être assis, menotté, les yeux bandés, aux côtés de ce prisonnier. »

On ne saura jamais combien d’hommes, particulièrement au Québec, ont « refusé de faire leur devoir ». Des hommes comme mon grand-père, Alphonse Arseneault, qui fut conscrit le 24 juillet 1918, mais ne se présenta jamais à la convocation. Aurait-il mérité, comme l’aurait souhaité Scott, d’être exécuté pour autant ? Aujourd’hui, la question semble saugrenue, tellement Alphonse aurait de recours contre la conscription. Le pays de la Charte des droits et libertés peut-il encore embrigader ses citoyens ? Rien n’est moins sûr.

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En Angleterre, le Shot at Dawn Memorial célèbre la mémoire des militaires exécutés par la Grande-Bretagne lors de la Première Guerre. (Photo : M. Savage / Alamy)

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Le Canada et la guerre

Henri Bourassa, fondateur du Devoir, soutenait que le Canada devait cesser de participer automatiquement aux interventions britanniques sur tous les continents — des milliers de Canadiens ont été envoyés jusqu’en Afrique du Sud pour faire la guerre aux Boers ! En 1914, ses idées emportaient l’adhésion de la population, d’autant que l’Ontario, bastion pro-impérialiste, venait d’interdire le français dans ses écoles.

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J’aimerais apporter quelques précisions sur ce dossier fascinant.

Premièrement, il faut savoir que c’est cinq soldats du 22e bataillon qui furent exécutés au cours du conflit de 1914-1918; Léopold Deslisle étant le cinquième (et donc le dernier). Deux autres Canadiens-Français furent exécutés dans deux autres bataillons.
Si on peut parler d’énigme « Léopold Delisle », ce n’est pas vraiment la seule. L’histoire du premier fusillé du 22e, le soldat Eugène Poirier, originaire de Bouctouche au Nouveau-Brunswick, est au moins aussi étrange. Car contrairement à Léopold Delisle, qui avait un dossier d’inconduite long comme le bras, Eugène Poirier avait un dossier pratiquemment vierge de toute infraction.
En fait, les exécutions au sein du 22e bataillon débutent après une terrible bataille, celle dite de Flers-Courcellette (du 15 au 20 octobre 1916), au cours de laquelle la fière unité militaire canadienne-française sera largement décimée. Un mois plus tard, le commandement canadien, mal avisé, enverra encore le 22e à l’abattoir lors de la bataille dite de la tranchée Régina, qui fera autant de dégâts parmi les soldats canadiens-français. S’ensuivra par la suite un effondrement moral tel au sein de la troupe (on remplace les morts et les blessés avec des recrues plus ou moins bien préparées) que le commandant du 22e, Thomas-Louis Tremblay, n’aura d’autre choix que de recourir aux grands moyens pour ramener la discipline au sein de ses troupes. C’est au moment donc où Tremblay commence à resserer sa poigne sur son unité, au printemps 1917, que l’Acadien Poirier décide de déserter. Il n’est pourtant pas le premier, loin de là. Mais il a tout simplement mal choisi son moment. Il est exécuté en avril 1914, quelques jours après la célèbre bataille pour la prise de la crête de Vimy.
À mon avis, la véritable énigme « Léopold Delisle » est ailleurs. Je ne crois pas, contrairement à ce que dit l’article, qu’il se soit engagé trois fois. Je dirais plutôt qu’il s’y est pris à trois reprises pour s’enrôler. Ce n’est pas la même chose. Et cela signifie que sa candidature aurait été rejetée les deux premières fois.
Pourquoi ? Avait-on vu en lui un être à la psychologie fragile au cours des deux premiers examens médicaux que le processus d’enrôlement imposait ? J’en doute.
Je crois que les deux premiers refus de sa candidature tiennent au fait qu’il était considéré tout simplement trop maigre ! Sa grandeur, à cinq pieds six pouces, n’est pas un problème car la taille moyenne des soldats canadiens de 1914-1918 était de cinq pieds cinq pouces. Toutefois, son tour de poitrine, 31 pouces au repos et 34 pouces en expension, est clairement inférieur à la moyenne des soldats, pour lesquels le tour de poitrine, au repos, varie de 33 à 38 pouces. Eugène Poirier, le premier soldat du 22e à avoir été exécuté, avait d’ailleurs un tour de poitrine au repos de 33 pouces et 1/4.
Et pourquoi alors l’avoir accepté à sa troisième tentative. Tout simplement parce qu’on manquait de soldats et que les critères d’acceptation des volontaires ont été ramenés à la baisse.
Et s’il est une véritable énigme concernant les exécutions de soldats canadiens au cours de 1914-1918, c’est celle-ci : pourquoi sept des 25 soldats exécutés étaient-ils canadiens-français (28%), alors que les Canadiens-Français formèrent tout au plus 8% du contingent canadien?

Une erreur s’est glissée dans mon commentaire précédent. Le soldat acadien Eugène Poirier (souvent identifié comme étant Eugene Perry dans les archives) a été exécuté non pas en avril 1914, mais bel et bien en avril 1917, le 11 plus précisémment.