1- Chienne, Marie-Pier Lafontaine (Héliotrope)
C’est en septembre que paraissait cette autofiction aussi franche que dure. Or, ce premier texte de la trentenaire Marie-Pier Lafontaine n’a rien de revanchard ou de misérabiliste, il est tout simplement différent et singulier par sa charge et sa sincérité hors du commun, sans compromis. Violence, abus, cruauté au quotidien par un père diabolique qui appartient maintenant au passé, c’est de cela dont il est question à travers une plume fracassante et inoubliable. Il s’agit ici d’un premier opus qui assurément fera son chemin, libre et fier, nécessaire aussi, parce que dans un monde où la violence perdure, nous ne pouvons nous priver de ce genre de charge, surtout quand c’est livré avec autant d’aplomb.
2- Le Boys Club, Martine Delvaux (Remue-ménage)
C’est pas mal important ce sur quoi l’écrivaine, essayiste et professeure Martine Delvaux lève le voile dans cet essai qui est arrivé comme une bombe en 2019, mettant enfin des mots, vulgarisant à la perfection un phénomène qui dure depuis trop longtemps : les boys clubs… Ils se rassemblent, parlent entre eux, réfléchissent, commentent, s’observent, s’écoutent et plus encore dans cet entre-soi des hommes ; présent dans le réel comme en fiction, perpétuant toutes les images de ces « privilégiés » qui sévissent dans les milieux de la politique, des finances, des sports, des entreprises, des fraternités, des universités, de l’État, de l’Église, etc. Il est temps que les lumières s’allument enfin, que ce spectacle rétrograde du machisme tire enfin sa révérence. Ce livre en annonce la fin, c’est fort salutaire, tout comme la remise en novembre dernier du Prix Fleury-Mesplet à Rachel Bédard, soulignant la brillante et fondamentale carrière de cette éditrice des Éditions du Remue-ménage qui publie cet ouvrage et bien d’autres depuis sa fondation en 1976.
3- Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / Je suis une maudite Sauvagesse, An Antane Kapesh (Mémoire d’encrier)
Éditée et préfacée par Naomi Fontaine, cette réédition d’un grand classique de la littérature canadienne, originellement publié chez Léméac en 1976, livre en innu et en français un réquisitoire accablant contre les Blancs. Ceux-là mêmes qui, sans vergogne, ont pillé, jugé, condamné, méprisé ce que les peuples autochtones avaient de plus important, leur territoire, traditions et racines certes, mais aussi leur Histoire. Malgré tout, An Antane Kapesh est restée debout et fière, rédigeant ce précieux manifeste, gardien de la pensée innue et véritable source d’inspiration pour les écrivains issus des Premières Nations. Un livre qu’il ne faut jamais oublier.
4- Anne Hébert, vivre pour écrire, Marie Andrée Lamontagne (Boréal)
Le 22 janvier marquera le 20e anniversaire du décès de la grande Anne Hébert qui figure incontestablement parmi les plus importantes écrivaines de la littérature québécoise. Enseignée, étudiée, décryptée, lue et commentée depuis ses débuts, celle qui ne cesse d’inspirer les créateurs d’ici était à la fois mystérieuse, discrète et fulgurante. Cette biographie écrite avec une rigueur incomparable par Marie-Andrée Lamontagne, fruit de quinze ans de durs labeurs, présente Hébert de son enfance à l’âge adulte en France, en passant par sa jeunesse fondatrice des bases de son oeuvre. Si ce texte a été aussi important cette année, c’est entre autres parce qu’il témoigne en plus de 500 pages de l’Histoire du Québec.
5- Tempêtes, Andrée A. Michaud (Québec Amérique)
L’écrivaine Andrée A. Michaud est la reine du roman noir au Québec. Son fabuleux roman Bondrée, couronné de 7 grands prix littéraires témoigne d’ailleurs de son immense succès. Ce dernier-né, en lice pour le prix France-Québec, comporte deux récits qui se répondent d’une manière admirable et claire autour des voix d’une femme seule dans une maison en forêt héritée d’un oncle mort mystérieusement et celle d’un homme entouré de cadavre dans un terrain de camping au bord d’un cours d’eau. Pourquoi ces morts ? Quel est le lien entre la mort de l’oncle et ces corps ? Chez cette écrivaine, tout est lié, mais comme elle sait si bien distiller le mystère, on ne sait rien, on doute, on craint, on hallucine, bref, c’est génial d’être pris au piège par une autrice qui y tire son épingle du jeu.
6- La source de l’amour-propre, Toni Morrison (Christian Bourgois)
Décédée le 5 août dernier à 88 ans, Toni Morrison, qui fait incontestablement partie des voix les plus fortes de la littérature afro-américaine s’est toute sa vie démarquée par son humanisme, sa lucidité et sa lutte pour l’égalité à travers des dynamiques raciales, sociales ou sexuelles. Ce livre réunit une quarantaine de textes qu’elle a écrits au cours des dernières décennies et qui sont encore très actuels pour la plupart tout en étant une manière de revisiter l’œuvre de Morrison ou de découvrir ses thèmes de prédilection avant d’entrer dans ses histoires comme l’inimitable Beloved, son roman le plus connu et le plus vendu adapté au cinéma en 1998 par Jonathan Demme.
7 – L’apparition du chevreuil, Élise Turcotte (Alto)
En nomination pour le prix littéraire France-Québec en 2020, L’apparition du chevreuil d’Élise Turcotte, qui sait aborder en fiction des sujets graves avec grâce, témoigne de la colère et de la peur d’une écrivaine qui se retire dans les bois pour écrire et se mettre à l’abri d’un prédateur qui l’assaille sur Internet. Les lectrices et lecteurs assistent alors à la tempête intérieure – et extérieure – qui l’oppresse, et seront vite subjugués par la lucidité de ce drame très familier offert dans une forme qui brille par son intelligence et son originalité maîtrisée.
8- Les Testaments, Margaret Atwood (Robert Laffont)
Parmi les événements littéraires de 2019, une trentaine d’années après la parution de La Servante écarlate de Margaret Atwood, adaptée en série télé primée aux Emmy Awards, il y a eu la venue de la suite de ce grand roman : Les Testaments, qui donne à lire une nouvelle dystopie dans laquelle on suit trois voix féminines fortes et troublantes sur 541 pages. L’écrivaine de Toronto montre à quel point sa création n’a rien perdu de la rigueur qui la distingue, de son style ou de cet humour qui la caractérise. Pas étonnant qu’elle ait remporté le prestigieux Booker pour ce joyau de la littérature canadienne. Elle sera d’ailleurs présente dans la capitale nationale au printemps à l’occasion d’un événement spécial au Salon international du livre de Québec.
9- Travesties-kamikaze, Josée Yvon (Les herbes rouges)
«Il faut se travestir pour vivre: se travestir pour survivre, pour exister; on ne peut jamais être soi-même, il faut toujours changer sa personnalité pour vivre dans une société.» La poète Josée Yvon avait 44 ans quand elle est morte le 12 juin 1994 après des années intensives à écrire la réalité des marginaux, tous ceux qui ne suivaient pas le défilé dans les rangs. Elle ne faisait rien comme les autres, elle faisait des vagues partout où elle passait. Il y en avait pour voir la fée d’étoiles qu’elle était, une fée trash, certes, mais une fée quand même, de celles qui apportent des cadeaux, même s’ils sont emballés dans des gants de boxe. C’est pour ça qu’on aimait sa poésie. C’est pour ça que ce livre a été réédité et qu’il est encore très actuel. Rien ne change vraiment. Il y aura toujours ceux qui marchent à gauche, qui refusent de se conformer. Pour eux et pour les saisir, il y a ce livre précieux.
10- Ta mort à moi, David Goudreault (Stanké)
Lui aussi en lice pour le prix littéraire France-Québec 2020, ce roman de David Goudreault raconte l’histoire de Marie-Maude Pranesh-Lopez dont la mère provoque de son plein gré des accidents de la route qui causent des embouteillages et dont on savoure les pages du journal intime intense et déstabilisant. Quant au père de cette héroïne attachante, il ne jure que par la croissance personnelle la plus flyée qui soit… Grand sensible, le talentueux écrivain devenu célèbre avec sa trilogie La Bête est revenu l’automne dernier explorer les éclopés à travers les thèmes de la fatalité et de la rédemption à une époque ou leurs pourtours sont constamment redéfinis.
Vous avez inversé les liens des deux articles « Les 10 meilleurs livres » et les « 10 meilleurs vins ».
Je vois que dans votre univers culturel les hommes occupent une place très marginale. Incidemment le seul de ces 10 livres que j’ai lu est celui de Goudreault (par recommandation de j.F. Lisée) et je l’ai trouvé sombre et désolant et franchement je n’ai pas l’intention de lire les 9 autres. Surtout pas celui sur le boys club. Comme si on devait interdire aux hommes de former des clubs pour se rencontrer entre eux. Autrefois il y avait les tavernes et ont les a fait disparaître. Les femmes n’ont-elles pas leur clubs de femmes? Une de mes soeurs est membres des fermières et je ne voie aucun mal à ça.
On parle beaucoup de néoféminisme de ces temps ci. Moi je vous suggère d’ailleurs de lire ceci paru dans le journal de Montréal hier:
https://www.journaldemontreal.com/2019/12/18/la-femme-superieure-a-lhomme