Le phénomène Mattila
Mélodies de Jean Sibelius. Karita Mattila, soprano; Ilmo Ranta, piano. ONDINE ODE 856-2.
L’Orchestre symphonique de Montréal ne pouvait choisir meilleure vedette, pour son concert-bénéfice du 10 avril, que l’étincelante soprano finlandaise Karita Mattila. Tout le monde s’arrache actuellement cette séduisante cantatrice, qui combine une allure à la Cameron Diaz et une voix argentée se déclinant dans toutes les teintes, du clair brillant au velouté sombre, de la douceur duvetée à la puissance magistrale. À la mi-quarantaine, elle est au meilleur de sa forme — et de ses formes, comme ont pu le constater ceux qui ont admiré sa «Danse des sept voiles» dans l’opéra Salomé, de Strauss. On l’a qualifiée de «meilleure actrice chantante au monde». De fait, ses talents de comédienne, manifestes à l’opéra, s’expriment aussi bien dans les mélodies de son compatriote, le compositeur Jean Sibelius. Il était temps que ce disque, enregistré en 1995, débarque en Amérique. Sibelius y étale les mêmes talents de mélodiste qui assurent la pérennité de son célèbre Concerto pour violon. Karita Mattila s’investit totalement, sans aucun artifice mais avec un art consommé, dans l’interprétation de courts poèmes évoquant des scènes de la nature ou la nostalgie amoureuse. Avec pour seul soutien le piano aussi discret qu’efficace d’Ilmo Ranta, la voix de la chanteuse s’offre dans toute sa splendeur.
Kremer retourne à Bach
Back to Bach. Jean-Sébastien Bach: Trois Partitas pour violon seul (no 1 en si mineur, no 2 en ré mineur et no 3 en mi majeur). Gidon Kremer, violon. DVD EUROARTS 2055638.
Gidon Kremer est-il le plus grand violoniste de notre époque? On est tenté de le croire après la contemplation — c’est le mot — de ce DVD, dont les fervents de Bach ne voudront pas se passer. Le musicien letton d’expression allemande explique qu’il a ressenti, l’année de ses 60 ans, le besoin d’enregistrer de nouveau les chefs-d’œuvre de Bach pour violon seul, qu’il n’avait pas interprétés depuis 20 ans. Quelle différence entre la fougue juvénile de la première gravure et l’intériorité sublimée de la seconde! Est-ce parce qu’il joue debout devant l’autel de la magnifique église Saint-Nicolas, à Lockenhaus, la petite ville autrichienne où il dirige depuis 26 ans un festival de musique de chambre? Toujours est-il que Kremer fait vivre à l’auditeur une expérience presque religieuse par la ferveur spirituelle de son jeu et par sa dévotion à la musique de Bach. Sympathique, avec ça! Le propre d’un grand artiste, à ses yeux, est une signature reconnaissable, comme celle de Maria Callas ou de… Jacques Brel, dit-il. La sienne l’est tout autant.
Mendelssohn en deuil
Félix Mendelssohn-Bartholdy: Quatuor no 6, op. 80, Quatre pièces, op. 81, Quintette no 2, op. 87. Quatuor à cordes Alcan; Steve Dann, alto. ATMA ACD2 2501.
Mendelssohn fait mentir sa réputation de légèreté dans son Quatuor à cordes no 6, qu’il a lui-même baptisé «Requiem pour Fanny». C’est en effet sous le choc du décès de sa sœur Fanny, dont il était très proche, que Mendelssohn a écrit cette œuvre qui navigue entre la révolte et la mélancolie. Le Quatuor Alcan rend l’émotion de ces pages avec une éloquence magnifiée par la prise de son et l’acoustique formidable de la salle Françoys-Bernier, du Domaine Forget. Pour le Quintette qui complète le programme, l’ensemble s’est adjoint l’ex-alto solo de l’Orchestre symphonique de Toronto. Un très beau disque de ce quatuor fondé à Chicoutimi il y a 18 ans.