
Contrairement à Jésus de Nazareth, dont le royaume n’était pas de ce monde, le prophète Mahomet, doit-on le rappeler, était un guerrier préoccupé de conquêtes militaires autant que de prédication.
Selon le célèbre politologue français Antoine Sfeir, il faut remonter à son décès, en 632 de notre ère, pour comprendre comment la succession du Prophète a donné naissance à deux versions divergentes de l’islam qui s’affrontent, le sunnisme et le chiisme.
Mahomet, à qui l’archange Gabriel avait transmis le message divin, n’avait désigné aucun favori pour lui succéder. Certains de ses compagnons souhaitaient que l’héritier soit de la famille — son jeune cousin et gendre Ali, par exemple —, les autres insistant pour choisir leur calife parmi des hommes plus expérimentés. D’un assassinat à l’autre, les idéologies se sont cristallisées, et chaque clan, depuis, vénère ses martyrs avec passion.
« La grande fracture théologique entre les deux branches principales de l’islam, écrit Sfeir, est la question de l’imamat. » Chez les sunnites, l’imam est une sorte de pasteur qui commente le Coran ; il est le plus souvent nommé par le califat politique, qui le récuse à volonté. L’imam chiite, lui, « est le chef temporel et spirituel désigné par Dieu lui-même ». Le clergé sunnite n’existe pas. Par contre, les chiites ont hiérarchisé leurs théologiens et attendent le retour du mahdi (messie), leur 12e calife disparu à l’âge de cinq ans.
L’islam, toujours en expansion, est la plus importante religion de la planète. La vaste majorité des musulmans sont de foi sunnite, les chiites représentant moins de 10 % des croyants, partout persécutés — sauf en Iran, qui n’est pas un pays arabe. Aujourd’hui, sunnites et chiites dans le monde, souvent aveuglément, s’agressent à coups de voitures piégées. Pourquoi ? Selon Sfeir, pour d’obscures questions de pureté de la foi, enrobées de disputes territoriales et d’intérêts économiques.
Dès l’origine, pratiquant la razzia arabe, les guerriers de l’islam avaient conquis l’Afrique et répandu la foi en Inde. De siècle en siècle, instaurant des califats tantôt à Damas, au Caire ou à Bagdad, les musulmans constitueront des royaumes puissants, dont l’Empire ottoman, qui prendra pied en Europe. Après l’asservissement de la Hongrie par Soliman le Magnifique, une ligue de pays européens lui barraient la route à Vienne ; un boulanger, dit la légende, invente alors le croissant pour commémorer cette victoire.
Allié des Allemands, le grand califat d’Istanbul perd la Première Guerre mondiale, et les pays européens se partagent les terres du sultan. Quand la nouvelle Assemblée nationale turque, en 1924, abolit le califat, instaurant la laïcité, « il n’y a plus personne qui puisse parler au nom de l’islam dans son ensemble ». Depuis, explique Sfeir, différentes factions ambitionnent d’ériger un nouveau califat : les Frères musulmans en Égypte, les talibans en Afghanistan, les wahhabites en Arabie saoudite ou les ayatollahs chiites en Iran. Après la Deuxième Guerre mondiale, ajoutant l’insulte à l’opprobre, la création de l’État d’Israël en plein cœur des pays musulmans a exacerbé la situation catastrophique d’un islam politique fixé dans un Moyen Âge durable. Voilà pourquoi ces frères sont en guerre. Un peu de pétrole alimente aussi le feu.
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L’Islam contre l’Islam, par Antoine Sfeir, Grasset, 242 p., 29,95 $.